Turbulences sociales à l’aéroport de Cointrin

Genève • La gauche et les syndicats dénoncent une épidémie rampante de dumping à l'aéroport, entre dénonciations des conventions collectives et recours à des sous-traitants et du personnel temporaire.

La gauche et les syndicats dénoncent une épidémie rampante de dumping à l’aéroport, entre dénonciations des conventions collectives et recours à des sous-traitants et du personnel temporaire.

« Il y a une véritable épidémie antisociale à l’aéroport de Genève-Cointrin. Les entreprises cherchent à augmenter leur rentabilité et leur bénéfice, en instaurant un dumping sur les bas salaires. C’est du dumping social. La direction de l’aéroport et le Conseil d’Etat doivent faire respecter le dialogue social et les conventions collectives pour les entreprises concessionnaires. Si elles ne suivent pas les règles qui ont cours à Genève, elles doivent arrêter leur activité. Nous ne voulons plus d’entreprises voyous », fulmine François Lefort, député vert, qui, au côté des syndicats et de représentants des partis de gauche, a dénoncé l’augmentation du dumping salarial à Cointrin.

« Gate Gourmet a été le premier à ouvrir la brèche. Afin d’augmenter ses bénéfices, la société a licencié l’ensemble de son personnel en septembre 2013 pour le réengager moins cher », a rappelé Katharina Prelicz, présidente nationale du Syndicat des services publics (SSP-VPOD). Aujourd’hui, le conflit n’est toujours pas terminé. Le 20 décembre, puis le 7 janvier, la direction du groupe a rencontré Patrick Baud-Lavigne, secrétaire général adjoint au Département de la sécurité et de l’économie. L’entreprise se refuse toujours à revenir à l’ancienne convention collective de travail (CCT) et sur les licenciements des six derniers grévistes entrés en résistance depuis quatre mois. « Leurs seules propositions ont été d’installer une salle de repos et une commission du personnel. La première mesure va simplement permettre d’instaurer des horaires coupés pour allonger le temps de travail. La seconde vise à passer outre notre syndicat », a précisé Yves Mugny, secrétaire syndical du SSP-VPOD.

L’exemple de Gate Gourmet semble faire des émules dans les autres sociétés du site aéroportuaire. « Il a finalement servi de signal d’impunité aux autres entreprises, de licence à la déréglementation », explique Jocelyne Haller, nouvelle députée d’Ensemble à Gauche. La société SR Technics, qui compte 100 employés, a ainsi dénoncé le 18 septembre la CCT en vigueur pour le 20 juin prochain. Les attaques portent sur les salaires, avec un gel des progressions salariales, mais incluent aussi un passage du temps de travail de 40 à 42 heures. La direction veut aussi supprimer les congés compensatoires et les mesures de préretraites liées à la pénibilité. De son côté, Swissport, qui compte 1’200 employés dans le handling (prise en charge des voyageurs), menace de dénoncer la CCT afin de « pratiquer des économies ». Pas en reste, Dnata (450 employés) a accepté in extremis de prolonger la CCT en vigueur pour 2014, mais l’avenir semble incertain.

Venus de Chambéry pour quelques heures de travail

« Le secteur aérien n’est pas en crise. Il est même privilégié. Les bénéfices de Cointrin sont passés de 25 à 66 millions entre 2002 et 2012, mais on assiste à une vraie pression vers le bas sur les salaires. Tous mes collègues sont obligés de vivre en France, car leur revenu disponible est insuffisant. Je me demande ce qui peut alors se passer dans des secteurs en crise et qui ne sont pas soumis à des concessions d’activité de la part de l’Etat », s’interroge Didier Blanc, employé de Swissport depuis quatorze ans. Il explique aussi que les entreprises concessionnaires recourent de plus en plus à des sous-traitants et à du personnel temporaire, mal payé. « Certains frontaliers qui viennent d’Annecy ou de Chambéry n’ont que quelques heures de travail par jour, avec un planning pour le seul lendemain. Comme de plus, ils n’ont pas de place de parking, ils sont sûrs d’écoper de 45 francs d’amende de stationnement », relève le délégué syndical.

Responsable du secteur aérien au SSP-VPOD, Hans Oppliger dénonce lui aussi une course générale au moins-disant social pour les 8’500 employés de l’aéroport. « Ceux qui donnent le ton sont la direction de Cointrin, mais aussi les deux plus grandes compagnies sur le site », relève le syndicaliste. « Le personnel de cabine de Swiss a enregistré une baisse de 20% de son salaire. De son côté, easyJet fait appel à des temporaires pour faire pression sur les pilotes qui demandent depuis des années un aménagement de leur temps de travail, du fait du stress lié à la multiplicité des rotations quotidiennes », précise le secrétaire syndical.

« La question est maintenant de savoir si Genève, propriétaire de Cointrin, va continuer à couvrir ce dumping », résume Yves Mugny, alors que le socialiste Roger Deneys souligne que la gauche va continuer à intervenir au Parlement pour des règles soient respectées sur le site qui vient d’enregistrer une hausse de 3,9% du nombre de passagers en 2013 avec un record de 14,4 millions de voyageurs.


(Photo Eric Roset)