La Centrale sanitaire suisse sous la loupe

PUBLICATION • Le dernier ouvrage de Pierre Jeanneret met en lumière cette organisation d'entraide créée durant la guerre d'Espagne et toujours active.

Le dernier ouvrage de Pierre Jeanneret met en lumière cette
organisation d’entraide créée durant la guerre d’Espagne et toujours active.

Fondée en 1937 en tant que section
de la Centrale sanitaire internationale,
la Centrale sanitaire suisse
(CSS) participa à l’action de soutien aux
Républicains espagnols en lutte contre
le franquisme. Pendant la Seconde
Guerre mondiale, elle aida des mouvements
de résistance et, dans l’aprèsguerre,
elle s’occupa des victimes du
conflit. Nos connaissances lacunaires et
fragmentées de la CSS s’étendent tout
juste à l’aide au Vietnam impulsée jadis
par elle, à sa présence en Erythrée, en
Palestine et aux camps de réfugiés sahraouis,
et à sa participation à MediCuba
qui aide à améliorer les conditions sanitaires
de l’île.

Nous en savons bien plus au sujet de
la CSS depuis que récemment nous a
été présenté, à la Maison des associations
de Genève, le livre de Pierre Jeanneret
75 Ans de solidarité humanitaire.
Histoire de la Centrale sanitaire suisse et
romande (1937-2012)
(lire ci-dessous).
Lors de cette soirée, nous avons pu
entendre, en plus de l’auteur et de son
éditeur des Editions d’En Bas, le Dr
Jean-Pierre Guignard, pédiatre et cofondateur
de l’aide humanitaire suisse au
Vietnam, Viviane Luisier, présidente de
la CSS, ainsi que Frédéric Gonseth, réalisateur
de documentaires engagés, dont
l’un est consacré à la CSS. La projection
de celui-ci, qui fait expliquer aux responsables
de la Centrale son rôle et ses
activités, a suscité des discussions animées
dans la salle, où des personnes du
public évoquaient des souvenirs, racontaient
des anecdotes et apportaient des
témoignages directs ou indirects.

Des critiques se sont également fait entendre : les « Bons pour paquets de
Noël » [1] n’ont-ils pas profité davantage
aux habitants de la zone soviétique ?
Oui, car seule la CSS, association d’un
pays neutre, y avait accès, les zones
française et américaine bénéficiant de
l’activité d’une organisation allemande.
Le choix des lieux d’implantation des
maisons de convalescence dans le but
d’offrir quelques semaines de vacances à
des rescapés des camps de concentration
ou des victimes du nazisme a-t-il
privilégié certaines régions de l’Allemagne ?
Etait-il vraiment judicieux de
s’associer au Don suisse pour les victimes
de la guerre [2], que les autorités
avaient créé dans le but – certes non
avoué – de sortir le pays de l’isolement
diplomatique ? N’était-ce pas du favoritisme
quand, en Italie du Nord, le village
d’enfants pour des orphelins de
guerre italiens La Rasa s’est vu accueillir
pour quelques jours de vacances des
enfants de syndicalistes proches du
PCF ?

Il a été longuement question des
débats qui ont traversé les sections de la
CSS : faut-il privilégier une présence sur
le terrain ou se centrer plutôt sur le travail
d’information ? Mettre les régions
secourues au bénéfice de technologies
modernes et occidentales, ou les aider à
développer la médecine traditionnelle ?
Financer la construction de maternités
à équipement sophistiqué ou utiliser les
fonds pour la formation de sagesfemmes ?
Qu’on continue à discuter ces
questions montre, comme l’a fait remarquer
la présidente, que la Centrale sanitaire
vit et évolue.

Le problème de l’organisation a également
été évoqué, à savoir s’il faut se
structurer comme une seule organisation
nationale ou donner la possibilité
aux sections de s’organiser selon les particularités
de la région linguistique. En
fait, dans les années 60 les sensibilités
politiques régionalement différentes ont
amené des évolutions divergentes et
abouti à la formation de la Centrale
sanitaire suisse romande (CSSR).

Au fur et à mesure que l’ONG diversifie
ses projets, elle se doit d’élargir son
réseau de spécialistes scientifiques et
techniques (physiciens, chimistes, pharmaciens,
informaticiens) ou ayant une
formation en sciences humaines. L’engagement
de la Centrale au Vietnam et
par la suite en Afrique n’aurait pas été
possible sans l’apport des amis français,
hollandais et anglais qui connaissent la
médecine tropicale. Actuellement, la
CSSR soutient des projets visant à épargner
aux jeunes femmes des grossesses
précoces.

Les plus âgés parmi nous se souviennent
certainement des actions de solidarité
en faveur du Vietnam attaqué dès
1964 par les Etats-Unis préoccupés
d’empêcher l’instauration d’un régime
socialiste, et connaissent l’aide apportée
par la CSSR tant au niveau politique
que matériel. Les plus jeunes sont au
courant du travail effectué en Amérique
latine, peut-être ont-ils aussi récolté des
fonds pour le Nicaragua, le Salvador ou
le Guatemala ou soutenu MediCuba.

Comme nous l’avons dit, la CSS, son
organisation dans l’ensemble, son mode
de fonctionnement et ses alliances sont
mal connus. L’anticommunisme a favorisé
l’installation de certains préjugés
selon lesquels la CSS serait une annexe
du Parti du Travail. Il y a en a qui estiment
que, du moment qu’il existe une
Croix-Rouge suisse, il vaut mieux éviter
les doublons. D’autres encore trouvent
que « la CSS, c’est ringard »…

La mise au point historique par le
livre de Pierre Jeanneret nous rappelle
l’oeuvre importante de la CSS, et nous
espérons qu’elle suscitera l’enthousiasme
qui motivera d’avantage de gens, surtout
parmi les jeunes, à participer à ses activités.
D’autant plus qu’avec la crise
sociale déclenchée par les mesures
d’austérité dans nombreux pays européens,
pour ne nommer que la Grèce, le
Portugal et l’Espagne, la Centrale sanitaire
risque de se trouver devant la tâche
sans cesse grandissante de secourir des
populations privées de toit, de nourriture
et des soins médicaux.

Le regard d’un « non-humanitaire » au pays de l’entraide

Pierre Jeanneret est issu d’une
famille engagée à gauche et au
Parti ouvrier et populaire, la section
vaudoise du Parti suisse du Travail.
Docteur en histoire et ancien enseignant
de cette branche au gymnase,
par ailleurs collaborateur à Gauchebdo,
est l’auteur de nombreux ouvrages,
contributions et articles historiques
centrés sur le mouvement socialiste et
ouvrier suisse. Ses précédents travaux
historiques, concernant la guerre civile
en Espagne notamment, l’ont mis sur
la piste de la Centrale sanitaire suisse
(CSS). Avant qu’il entame cet ouvrage,
il fallait qu’un ami membre de la CSS
le convainque qu’un « non-humanitaire
» pouvait justement avoir un
point de vue intéressant sur le travail
dans le domaine médical et social.
Avec la curiosité vive d’un chercheur,
l’historien a épluché les archives de la
CSS, qui lui ont inspiré une grande
estime pour ces pionniers. L’étude des
Archives fédérales, surtout des documents
provenant du Ministère public,
lui a révélé l’obstination de la surveillance
et de la répression exercées à
l’égard des membres ou amis de la
CSS. Pierre Jeanneret n’a pas voulu
faire un ouvrage académique, mais a
raconté l’histoire de la CSS de manière
vivante. Son récit et la préface instructive
du Dr Guignard, les illustrations et
les notes biographiques, invitent le lecteur
à un voyage passionnant dans
l’histoire récente. Une diffusion de cet
ouvrage à l’étranger montrerait une
autre face d’un pays connu pour ses
banquiers et ses agitateurs xénophobes,
une Suisse capable d’empathie
et prête à secourir les victimes des
injustices.


Pierre Jeanneret, 75 Ans de solidarité humanitaire.
Histoire de la Centrale sanitaire suisse et
romande (1937-2012)
, éd. d’En Bas 2013,
262 p., 34 frs.


[1] Par le financement des bons, le donateur
donnait au bénéficiaire allemand la possibilité
de recevoir un paquet contenant des friandises
suisses, du lait condensé, du chocolat, cacao, ou
de la graisse animale ou végétale.

[2] Organisation créée en 1944 à l’initiative du
Conseil Fédéral dans le but d’aider à la reconstruction
de l’Europe ravagée par les conflits,
regroupant des associations de différentes
confessions et horizons différents.