Le Parti du Travail n’a cessé de se battre pour les crèches

genève • Une histoire des structures d'accueil de la petite enfance genevoises de 1874 à 1990 comble une lacune bibliographique et rappelle le rôle joué par le Parti du Travail.

Une histoire des structures d’accueil de la petite enfance genevoises de 1874 à 1990 comble une lacune bibliographique et rappelle le rôle joué par le Parti du Travail.

L’histoire des crèches (ou garderies) en Suisse a été très peu explorée. Il existe certes des monographies publiées à l’occasion de jubilés, mais aucune étude globale. Il faut donc saluer le travail de Michèle E. Schärer et Eléonore Zottos, deux spécialistes rattachées à la Haute école de travail social et de santé (Hes-so / EESP) à Lausanne. Cette étude globale permettra d’utiles comparaisons ultérieures avec d’autres villes de Suisse. Les auteures se sont concentrées sur cinq thèmes : les publics (parents et enfants) ; les missions poursuivies par les crèches et les activités au sein de celles-ci ; les fondateurs, les responsables et le personnel des institutions ; le cadre institutionnel (financement, intervention de l’Etat) ; l’acceptation sociale des crèches. A ce propos, il faut constater que, jusque vers 1960, celles-ci ont été considérées comme un « pis-aller », un « mal nécessaire », avant de voir reconnue leur valeur sur le plan pédagogique et celui de la socialisation de l’enfant.

La première période (1874-1913) est celle des fondateurs et de la philanthropie. C’est en 1844 qu’est ouverte à Paris la première crèche, par Firmin Marbeau, un partisan du catholicisme social. A côté de buts éminemment louables, comme la lutte contre la surmortalité infantile, la crèche a aussi pour fonction d’« épurer les mœurs de la classe pauvre » et de « la contraindre, à force de bienfaits à ne pas haïr les riches », donc de maintenir l’ordre social ! Il faut dire que la bourgeoisie, pour faire marcher ses industries, a besoin de la main-d’œuvre féminine, réputée docile et bon marché. Mais alors, il faut s’occuper des enfants de la classe ouvrière dont les mères sont à l’usine. En Suisse, la première crèche est ouverte en 1871 à Bâle-Ville. Puis suivent en 1873 Lausanne, Neuchâtel et Berne, Genève en 1874 dans le quartier populaire de Saint-Gervais. Les enfants y bénéficient de mesures hygiéniques et médicales, d’une alimentation saine et de locaux aérés et chauffés. En cela, les crèches ont incontestablement joué un rôle positif. On constate une très forte proportion de Confédérés et d’étrangers, dont les parents ont été attirés par les offres de travail à Genève. Ces crèches naissent souvent de l’initiative de grandes familles bourgeoises, dans l’esprit de la philanthropie protestante. Elles ont aussi l’appui des radicaux de l’époque, acquis au progrès social. D’autres crèches, notamment destinées aux enfants d’immigrés italiens, sont créées par la communauté catholique. Leur fréquentation à toutes est limitée aux « cas sociaux », comme ce sera aussi longtemps le cas à Lausanne.

La deuxième période (1914-1945) est celle de l’entre-deux-guerres, c’est-à-dire aussi celle des crises économiques et du chômage. Vu le départ de nombreux travailleurs étrangers, la fréquentation des crèches est en baisse. Le nombre de femmes actives diminue, ce qui renforce le partage des rôles entre les sexes et contribue à maintenir l’image de la mère définie comme gardienne du foyer. Pendant cette période, on constate un recul de la philanthropie et l’accroissement des ressources publiques communales. Les socialistes jouent un rôle important dans le soutien aux crèches. C’est aussi l’ère de l’hygiénisme. Le personnel n’est plus formé seulement de domestiques, mais de nurses et d’infirmières diplômées. Leur Ecole est censée répondre « aux capacités de la nature féminine » ! On le voit, les préjugés ne meurent pas facilement.

L’après-guerre voit naître un intérêt nouveau pour les crèches

Les années 1946-1959 sont en effet marquées par une nette croissance de ces institutions. Elle est due en partie à la forte immigration ouvrière de la décennie 1950-60. Pendant cette période, il faut relever l’implication du Parti du Travail en faveur de la création de crèches, de l’amélioration de leur qualité, de l’augmentation des subventions publiques et de la revalorisation du salaire du personnel qualifié, qui est alors équivalent à ce que touche une femme de chambre ! Comme le Dr Maurice Jeanneret le fait, cette même année 1946, au Conseil communal de Lausanne, le Dr Marc Oltramare prononce devant le Conseil municipal de la Ville de Genève une vigoureuse intervention dans ce sens. Ultérieurement, il y aura d’autres motions et interpellations du PdT, déposées notamment par François Dumartheray, Eugénie Chiostergi-Tuscher, Jacqueline Zurbrugg, Véréna Keller et Liliane Johner. C’est aussi le début d’un serpent de mer : la question de la municipalisation des crèches, qui sera un cheval de bataille du Parti du Travail. Municipalisation ou soutien à l’initiative privée ? Telle est la question de fond, jamais vraiment résolue.

Les années 1960-1970 constituent un tournant décisif dans l’histoire des crèches genevoises, qui vont connaître une évolution tant quantitative que qualitative. Et cela malgré le débat sur l’éducation collective, suite notamment aux thèses du Dr René Spitz (1887-1974) aux Etats-Unis. Pour ce dernier, « l’absence de soins maternels équivaut à une privation affective totale », qui mènerait à « un arrêt du développement psychologique de l’enfant ». D’autres spécialistes en revanche, comme la pédopsychiatre zurichoise Marie Meierhofer (1909-1998), mettent en valeur l’influence positive des crèches et garderies sur le développement et le réseau social de l’enfant. L’entrée des femmes dans les législatifs cantonal et communal genevois (respectivement en 1961 et 1963) va également contribuer à donner de nouvelles impulsions à la politique d’accueil des enfants. Entre 1960 et 1976, le montant des subventions octroyées aux crèches par la Ville de Genève passe de 95’000 à 1’710’718 francs. Quant à la reconnaissance officielle des professions de nurse et jardinière d’enfants, ainsi qu’aux salaires de ces employées, elles s’améliorent nettement.

Enfin les années 1977-1990 (date à laquelle s’arrête cette étude), elles sont surtout marquées par un souci de qualité de la prise en charge des enfants. Mais aussi par une évolution sociétale : les femmes nées après 1945 entendent ne pas s’arrêter de travailler après les maternités. Par ailleurs, une minorité de parents politisés et intéressés par les problèmes d’éducation créent dans les années 1970 une demi-douzaine d’institutions autogérées, des garderies animées par les mères et les pères, qui se relayent auprès des enfants. On observe le même phénomène à Lausanne. On assiste en outre à un glissement de la population des crèches, des classes populaires vers les classes moyennes, voire supérieures. Comme l’écrivent les auteures, « ce processus « d’embourgeoisement » des crèches [est] étroitement lié à l’accès des femmes à la formation et au marché du travail ». Les crèches ne sont donc plus réservées aux « cas sociaux ». Malgré la résistance de certains élus de la droite (mais pas tous !), hostiles à la prise en charge collective des enfants, les crèches sont désormais perçues non seulement comme une nécessité, mais encore comme un bienfait, un véritable facteur de développement.

Le seul reproche que l’on puisse faire à cette étude approfondie, c’est qu’elle reste très institutionnelle (financement, rapport à la Ville et à l’Etat, etc.) et laisse un peu de côté les principaux intéressés : les enfants, dont la présence est pourtant suggérée par le titre de l’ouvrage, A petits pas… Quels sont leurs jeux, leurs activités, leurs rapports entre eux et avec les puéricultrices ? On aimerait en savoir un peu plus là-dessus.


Michèle E. Schärer et Eléonore Zottos, A petits pas… Histoire des crèches à Genève (1874-1990), éd. EESP, Lausanne 2014