Les chemins d’Eric Roset nous mènent aux Roms

Photographie • Fruit de 10 ans de rencontres avec la population rom dans les rues de Genève, le recueil de photos «Post Tenebras Roms» d’Eric Roset invite à la découverte de la réalité de cette population à Genève et ailleurs.

C'est à force de passer sur le pont de la Machine où jouait Mircea qu'eric roset a fini par faire sa connaissance. une histoire parmi les dizaines nichées dans les photos de «post Tenebras roms» © Eric Roset

«Je ne suis pas très bavard, il faudra me poser beaucoup de questions», prévient Eric Roset, en préambule de notre entretien réalisé à l’occasion de la sortie de Post Tenebras Roms. Sitôt qu’on lui demande de nous parler des personnes figurant sur ses photos, il devient pourtant une source intarissable de paroles et d’anecdotes. Chaque image, c’est une histoire, l’histoire d’une vie et surtout d’une rencontre, celle du photographe avec les Roms de Genève.

Il y a Mircea, aujourd’hui décédé, qui jouait de la trompette sur un pont de la ville et qu’il a appris à connaître à force d’y passer et repasser et d’écouter sa musique. «Il est resté un bon moment à Genève, je m’arrêtais, je faisais des images, on discutait, je l’écoutais jouer, j’aimais bien ce qu’il faisait!», se souvient le photographe. Il y a aussi Oşu, un vieillard au chaleureux visage ridé, qui vient très souvent dans la ville du bout du lac.«Un jour, il a été condamné à trois semaines de prison pour mendicité, il était complètement perdu, se demandait ce qu’il avait bien pu faire de mal», raconte Eric Roset. «En Roumanie, il n’a rien, mais m’a toujours accueilli comme un roi!», ajoute-t-il, visiblement touché.

« Cela m’a accroché et me lâchera sans doute jamais! »
Pour le photographe, la découverte des cultures tziganes remonte à 1998, date d’un premier voyage en Roumanie. «Cela m’a accroché et ne me lâchera sans doute jamais, c’est une passion!», raconte-t-il, les yeux brillants et l’enthousiasme contagieux. De retour en Europe, il approchera d’abord les Roms de France voisine. «A l’époque, il n’y en avait pas beaucoup à Genève», se souvient-il. Puis un jour de 2004, dans le train qui le ramène de Lyon à Genève, il sympathise avec une famille qui se rend… dans la cité de Calvin. Une rencontre sur la route qui marquera le début d’une longue histoire dans la ville du bout du lac, et qui, immortalisée, deviendra également la première photo de Post Tenebras Roms.

«On peut alerter, mais c’est aux politiques de faire quelque chose»

La démarche d’Eric Roset est-elle avant tout artistique? Politique? A cette question, il répond sans hésiter: «ma démarche est militante, sociale, humaniste. Elle vise avant tout à donner une autre image des gens que l’on voit dans la rue, montrer la richesse de ces cultures, en quoi elles sont communes ou différentes de la nôtre, et lutter contre les préjugés dont ils sont victimes: qui sont-ils? Ne sont-ils pas comme nous? Pourquoi n’ont-ils pas les mêmes droits?» interroge le photographe. «Au fond, les Roms sont des personnes comme les autres, pour eux mendier est un moyen de gagner de l’argent. Ce sont des migrants qui tentent leur chance à l’étranger. En cela ils ne sont guère différents d’autres migrants», ajoute-t-il. «Je veux témoigner de leur présence, de leurs conditions de vie, essayer de changer le regard que les gens ont sur eux. Est-ce que cela fonctionne? Je ne sais pas, mais c’est en tout cas ce à quoi j’aspire, c’est le sens que j’y mets.». Un investissement sur le long terme, en profondeur, qui relève visiblement de l’évidence pour Eric Roset et va bien au-delà d’un simple travail de photographie. «La photo ne me suffisait pas, je trouvais que c’était limité» explique-t-il d’ailleurs lui-même en se référant à sa participation à la fondation de l’association Mesemrom, en 2007. Post Tenebras Roms s’accompagne du reste de textes signés Dina Bazarbachi, Sylvain Thévoz et Stéphane Herzog, qui reviennent sur la situation de cette population dans le contexte politique genevois.

«Les amendes infligées aux Roms sont actuellement de 200 francs. Ils sont parfois victimes de saisies d’argent. Certains vont même en prison pour mendicité!» s’insurge Eric Roset en expliquant qu’une partie du travail de Mesemrom consiste à déposer des recours contre ces amendes. «Nous organisons aussi des conférences ou des interventions dans les écoles. En tant que citoyen, on peut faire du bruit, alerter sur ce qu’il se passe, mais ensuite c’est aux politiques de faire quelque chose». Pour le photographe, pas question non plus de «faire à la place de»: «Je suis solidaire mais cela n’est pas mon combat, cela doit être le combat des Roms avant tout». Ces derniers, pourtant, ne sont pas toujours prêts à le mener, ce qui suscite les regrets du militant: «Se regrouper, s’organiser, ça devrait être une nécessité, mais cela ne se fait pas toujours. C’est toutefois vrai aussi bien pour les Roms que pour la population en général. Combien est-on à se bouger pour des choses à Genève?

Ils ne comprenaient pas toujours ma démarche

Qu’ont pensé les premiers concernés de la démarche d’Eric Roset? «Ils étaient souvent curieux, mais n’en comprenaient pas toujours le sens. Ils avaient parfois l’impression que je cherchais à me faire de l’argent sur leur dos. Mais, avec le temps, en voyant que je parlais la langue, que je m’intéressais de longue date à la culture tzigane, que je faisais un travail de fond, ils comprenaient souvent mieux. Au final, des relations d’amitié se créent, et c’est toujours un immense plaisir de se retrouver». «Ce qui te définit, c’est pas le travail ou l’argent»

Au-delà de la démarche artistique ou politique, on sent en effet que l’auteur a développé un véritable échange et des liens forts avec celles et ceux qu’il photographie. Le titre choisi, Post Tenebras Roms, ressemble d’ailleurs à un hommage rendu à la richesse de ces rencontres: «J’aimais bien l’idée de comparer les Roms à la lumière, à ce qu’ils pouvaient apporter à Genève. A l’époque, il y avait comme une joie chez eux, malgré les conditions de vie difficiles. Il y avait aussi la musique que j’entendais en passant dans les rues basses, ça mettait comme une espèce de gaieté», explique Eric Roset. Des rencontres qui, comme tout échange humain, débouchent parfois sur des réflexions: «Il y a une chose qui m’a frappé, c’est que le travail pour eux n’est pas toujours une priorité. Cela m’interpelle car pour nous, le travail c’est tout. On est prêt à sacrifier notre famille pour le travail, tandis que pour eux, la famille et les rapports sociaux avec les autres sont plus importants, c’est ça qui te définit, pas le travail ou l’argent!».

A travers Post Tenebras Roms, c’est dans ces questionnements et cette rencontre de l’autre, au-delà de tout préjugé, qu’Eric Roset nous invite à l’accompagner, comme dans un voyage. «J’aime aller à la rencontre des gens, c’est ce qui me remplit le plus, c’est tellement enrichissant, je ne m’en lasse pas du tout. Pour moi c’est ça le voyage!», affirme-t-il d’ailleurs, avec une passion communicative