A la redécouverte de Max Gubler

exposition • Le Musée des Beaux-Arts de Berne sort de l’oubli Max Gubler, l’un des ténors de l’avant-garde picturale en Suisse au 20ème siècle.

Qui se souvient aujourd’hui de Max Gubler ? Pourtant cet artiste fut considéré jusque dans les années 1960 comme le «seul génie de la peinture suisse». Puis il fut dénigré par la critique et peu à peu oublié. Un autre facteur a concouru à la méconnaissance de son œuvre: toutes les toiles appartenant à la période où il souffrit de graves troubles psychiques furent tenues à l’écart des regards par sa famille, afin de ne pas passer pour l’œuvre d’un «fou». C’est l’un des mérites de l’exposition bernoise que de présenter l’entier de son travail artistique, suivant une démarche à la fois chronologique et thématique.

Le visiteur est accueilli dans la grande Halle par une série de portraits de son épouse Maria, son modèle qui apparaît 261 fois dans son œuvre. Une figure majeure donc, tant dans sa vie que dans sa peinture, et qui permet de saisir la profonde évolution de celle-ci. De la jeune fille aux traits un peu impersonnels des débuts, elle se mue en une figure imposante et dominatrice. Dès les années 1940, on remarque l’accentuation des traits du visage par des coups de pinceau de caractère expressionniste, où l’on perçoit une sorte de violence intérieure. Max Gubler cessera définitivement de peindre après la mort de Maria en 1961.

Dès ses débuts picturaux, autour de 1920, Gubler est intéressé par les avant-gardes. Il restera toujours fasciné par Cézanne, le véritable créateur de l’art moderne, et lui rendra hommage dans ses Baigneuses de 1944. Il adhère à la fois à la Nouvelle Objectivité et à l’Expressionnisme. Il peint de multiples variations sur le thème (prémonitoire?) de la clinique psychiatrique du Burghölzli, près de Zurich. Il subit diverses influences: tantôt du Cubisme de Braque, tantôt de Picasso dont la période bleue a pu inspirer Femme et nain et d’autres figures de marginaux ou d’associaux. Il se reconnaît aussi comme un descendant du gothique tardif. Sa grande toile La jeune fille défunte ou La chambre mortuaire est bouleversante. Parallèlement, on peut voir des œuvres de ses frères Eduard et Ernst, également peintres, mais à nos yeux avec moins de force, voire ici et là une pointe de mièvrerie.

Puis Max Gubler connaît, entre 1925 et 1935, une période d’apaisement et d’harmonie. Elle est marquée par sa série de portraits de jeunes garçons …dont les visages sont sans doute ceux de Maria, qui ne tolérait pas d’autres modèles dans l’atelier! Quant à sa toile Comédiens siciliens, réalisée en 1928 sur l’île de Lipari où il séjourne pendant plusieurs années, elle répond à un genre très coté à l’époque: ainsi les nombreuses figures d’Arlequins chez Picasso.

On découvrira aussi à Berne un remarquable paysagiste, notamment dans ses représentations des bords verdoyants de la Limmat. L’intensité des couleurs et la vibration qui se dégage de ces toiles rappellent celles d’Oskar Kokoschka. Son Paysage de nuit avec usine à gaz (1954) fait, lui, penser à Edvard Munch. Puis l’on passe à ses autoportraits. De manière significative, Gubler ne se représente que dans son atelier, pinceau en main, comme s’il voulait montrer que la peinture absorbe toute sa vie. Il est aussi l’auteur de natures mortes. Il est frappant de voir l’évolution entre deux représentations de poissons: la première de 1926 offre au regard un mets appétissant, la seconde de 1948 montre un cadavre d’animal. Mais on remarquera surtout ses admirables bouquets de chardons, sa plante préférée, dont on peut se demander si les piquants hérissés ne sont pas une allusion à la couronne d’épines du Christ.

C’est dans les autoportraits que le tournant des années cinquante est le plus caractéristique. Dès 1957, son humeur dépressive grandissante accompagnée d’accès de violence conduisent à son internement en clinique psychiatrique. Il y fera plusieurs séjours et demandera finalement son hospitalisation volontaire au Burghölzli où se dérouleront les dernières années de sa vie. Ce serait néanmoins une erreur que de ne considérer sa production entre 1957 et 1961 qu’à l’aune de sa maladie psychique. L’artiste pousse probablement aussi sa radicalité picturale jusqu’à l’extrême. Si la figure humaine ou l’objet peint sont encore reconnaissables, ils sont traités avec une grande violence dans les coups de pinceau et sont constitués d’un entrecroisement de lignes rageuses qui choquèrent son entourage et conduisirent à l’occultation de tout un pan de son œuvre.

Ce parcours offre donc un regard neuf sur un peintre qui mérite amplement sa réhabilitation. Notons qu’il s’accompagne d’une autre exposition dans le même Musée des Beaux-Arts : cette dernière – dont la thématique est originale – est consacrée aux Visions du cristal dans l’art, à travers notamment des œuvres du romantique Caspar David Friedrich, de l’expressionniste Lyonel Feininger, de la surréaliste Meret Oppenheim ou encore de Paul Klee.

Max Gubler. Toute une vie, jusqu’au 2 août et Pierre de lumière. Visions du cristal dans l’art, jusqu’au 6 septembre. Musée des Beaux-Arts de Berne.