Une accélération vers… la clandestinité!

asile • Adoptée par le Conseil des Etats le 15 juin dernier, la restructuration du domaine de l'asile n'a suscité que peu de débats. Pourtant, les rapports d'évaluation de la phase-test pratiquée à Zurich révèlent de nombreuses failles, comme l'a rappelé le Centre social protestant.

La Suisse veut accélérer les procédures d’asile, quitte à sacrifier l’accès des requérants à une défense juridique de qualité. ©Marianne Grosjean

C’est à quelques jours à peine de la «journée du réfugié», censée être «l’occasion de promouvoir le droit des réfugiés et sensibiliser le public à cette cause», que le Conseil des Etats adoptait à une large majorité, le 15 juin dernier, la restructuration du domaine de l’asile présentée par le Conseil fédéral. «Accélérer la procédure tout en garantissant des procédures équitables, dans le respect de l’Etat de droit, et, partant, faire des économies à moyen terme», tel est l’objectif affiché de ce projet. Ainsi, avec le nouveau système, «la majorité (60%) des procédures devrait aboutir à une décision exécutoire et à l’exécution d’un éventuel renvoi dans un délai de 140 jours». En parallèle, l’accès à une protection juridique gratuite pour les requérants est prévu. Finalement, l’ensemble de la procédure se déroulera dans des centres fédéraux rassemblant tous les acteurs. La Confédération prévoit ainsi de créer 5’000 places d’accueil réparties entre six régions, dont 1’280 en Suisse romande. Depuis janvier 2014, un centre-test qui accueille 300 personnes a été créé en ville de Zurich, pour évaluer le fonctionnement du nouveau système.

Une réforme qui manque son but
Permettre aux requérants d’asile d’obtenir une réponse le plus vite possible sur leur demande d’asile, que celle-ci soit négative ou positive? Présenté comme cela, le projet semble évidemment louable. Cela explique peut-être aussi pourquoi, adopté par 35 voix contre 3, il n’a suscité que peu d’opposition au Conseil des Etats. Le PS, soutenant sa ministre, salue également «une réforme sensée de l’asile». Mais à y regarder de plus près, on déchante rapidement. C’est du moins la position défendue par les Centre sociaux protestants dans un communiqué diffusé le 15 juin dernier, qui se base sur l’analyse détaillée des 4 rapports d’évaluation de la phase-test zurichoise, rendus publics en février dernier.

Aldo Brina, chargé d’information sur l’asile au sein de l’institution, estime ainsi que cette réforme, «faussement révolutionnaire», ne s’attaque pas aux bonnes causes. Si les procédures sont longues, c’est «en raison des obstacles liés à l’exécution des renvois (tels que l’absence d’accords de réadmission), parce que le SEM (Secrétariat d’Etat aux migrations) ne dispose pas de moyens suffisants, notamment en termes de personnel, et parce qu’il choisit délibérément de laisser de côté certains dossiers. Or, aucun de ces éléments n’est abordé dans la réforme», dénonce-t-il. Le chargé d’information souligne en outre qu’il existe déjà une procédure accélérée pour les NEM (Non-entrée en matière), les cas Dublin et les procédures concernant certains pays des Balkans. Pour les procédures plus complexes, il considère que «s’il y avait la volonté nécessaire, il serait possible de les accélérer sans changer tout le système». Pour ce faire, le CSP préconise une augmentation des effectifs de l’administration et soutient les 250 postes supplémentaires prévus par le projet. «Christoph Blocher, lorsqu’il était en charge du DFJP, a lui-même drastiquement réduit les effectifs par mesure d’économie (116 postes rien qu’en 2005). Les retards accumulés par la suite dans le traitement des demandes sont donc en partie dus à des réductions d’effectifs sur lesquelles il faut aujourd’hui revenir», rappelle-t-il toutefois.

Une cadence de travail infernale
Les chiffres figurant dans les rapports d’évaluation de la phase-test zurichoise viennent appuyer ces dires. On constate en effet qu’ils ne prennent pas en compte la question de l’exécution du renvoi. Par ailleurs, en comparaison avec les procédures accélérées déjà existantes, le raccourcissement des procédures en «phase-test» n’est pas énorme et «équivaut à peu près uniquement à la réduction des délais de recours», relève le CSP. En d’autres termes, ce sont avant tout les migrants qui portent le poids de la réforme. L’organisation dénonce en outre le fait que l’accélération des procédures se fait au prix d’un «effort extraordinaire» de la part des fonctionnaires du SEM et de représentants légaux. Un des rapports d’évaluation de la phase-test fait en effet état d’une «cadence de travail infernale liée aux délais très serrés» et de «pression psychologique». Selon le même rapport, plusieurs représentants légaux ont du reste affirmé qu’ils ne se verraient pas effectuer ce travail au-delà de quelques mois.

Ces informations ont leur importance lorsque l’on sait que la mise à disposition d’une protection juridique de qualité est l’un des arguments avancé par le Conseil fédéral comme contrepartie à l’accélération des procédures. Si l’accès à une procédure juridique gratuite semble louable, les conditions dans lesquelles elle se réalise sont à prendre en compte. Or, si les conseillers sont surchargés, il y a un risque d’effectuer des recours «bâclés», ce d’autant plus avec des délais raccourcis, dénonce encore le CSP, en ajoutant que la réduction de ces délais rend la recherche de moyens de preuve de plus en plus difficile. Finalement, le manque d’indépendance des défenseurs juridiques, qui sont mandatés par l’Etat et travaillent dans les mêmes bureaux que les fonctionnaires du SEM, est également critiqué par l’organisation.

Vers plus de clandestins!
L’un des éléments les plus intéressants qui ressort des rapports d’évaluation de la phase-test est cependant peut-être le chiffre de 23,5%, correspondant au nombre de demandeurs d’asile qui disparaissent lorsqu’ils comprennent qu’ils recevront rapidement une décision négative ou peu après l’avoir reçue. «En moyenne, ces disparitions sont deux fois plus élevées comparées à celles observées dans la procédure ordinaire (12%)», relève le CSP. Et ce chiffre se monte même à 47% pour les requérants en procédure Dublin. «Si ces départs permettent de soulager financièrement le système de l’asile, on ignore pour l’instant combien de personnes ont effectivement quitté la Suisse», précise le rapport. Justement, pour le CSP, «il y a fort à craindre qu’il s’agisse (…) de passages à la clandestinité, en Suisse ou ailleurs». Et de dénoncer le fait que «les coûts sociaux et les souffrances endurées d’une procédure d’asile qui pousse près d’un quart des demandeurs dans la clandestinité ne sont pas examinés».

Alors, dans ces circonstances, l’accélération promise au profit de toutes et tous n’est-elle pas que poudre aux yeux? Ou prétexte, à l’heure ou les médias présentent la Suisse comme victime d’un «afflux sans précédent» de réfugiés, pour les repousser au plus vite vers la sortie…. ou vers la clandestinité, même si cela doit être aux mépris de leurs droits? La question est lancée.