L’économie de demain, c’est tout un programme

enjeux • Vendredi 26 juin s'est tenu à Bienne un forum intitulé «Economie de l'avenir». La Déclaration de Bienne, qui a clôturé l'événement, valide les principes défendus par les visionnaires d'un mode de production social et solidaire.

Coopérative, sociale, éthique, responsable, participative. Ces adjectifs expriment la volonté et l’ambition des acteurs d’une autre économie, qui existe déjà et fait ses preuves. Pendant toute une journée, les intervenants se sont succédé pour partager leurs expériences, valider des modes de fonctionnement et réclamer la reconnaissance officielle de leur démarche. En effet, si les produits ou les services issus de l’économie sociale et solidaire peuvent avoir un coût plus élevé, à court terme, la valeur ajoutée prend aussi en compte des facteurs liés à l’humain, qui ont un impact considérable sur le bien-être au travail, notamment.

Christophe Dunand, engagé dans la création de l’Association genevoise pour la promotion de l’économie sociale et solidaire, devenue Chambre de l’économie sociale et solidaire de Genève en 2006, mentionne un petit sondage qu’il effectue auprès de ses étudiants chaque année: «Je leur demande d’écrire ce qui leur a réellement fait plaisir récemment. Invariablement, les réponses reviennent toujours sur les relations avec autrui ou sur le bien-être procuré par la nature. Lorsque je les interpelle sur le coût minime, voire nul, de ce qui les fait vraiment vibrer, il y a une certaine prise de conscience.»

Alors, quels sont les principes de cette économie? Les entités qui s’engagent dans cette voie, fondent leur activité sur une orientation vers le bien commun et la durabilité. Sur le plan humain, elles ont un mode de fonctionnement transparent, qui s’appuie sur une gouvernance démocratique et participative. Les employés sont donc partie prenante des processus de décision, ce qui les valorise et leur permet de s’exprimer tout en étant créatifs. Sur le plan financier, les coûts de production sont couverts et les bénéfices sont en grande partie réinvestis. Le but n’est donc pas la maximisation du profit. Sur le plan social, certaines ont mis en place des congés paternité, des mesures de mobilité douce, une gestion des déchets optimisée ou encore la flexibilité des horaires, pour donner des exemples concrets.

Des intervenants audacieux

Hans Wüthrich, titulaire de la Chaire de management international à l’Université de la Bundeswehr à Munich et Privat-docent à l’Université de Saint-Gall, démontre qu’en responsabilisant les employés sur leurs vacances ou leurs salaires, la structure qui les emploie a tout à gagner. Car les talents sont en recherche permanente d’autonomie. C’est ce qui leur permet d’être créatifs et de mener des réflexions tout en donnant du sens à leur mission. Si les règles rassurent, elles sont aussi des entraves. Suivre des procédures ne permet pas d’exploiter les différents potentiels, engendre des coûts conséquents, de même qu’un épuisement collectif. La culture du dialogue, plutôt que des schémas de décisions pyramidaux, dynamise la motivation intrinsèque tout en stimulant l’innovation. Pour que cela soit possible, il y a des prérequis de la part de l’employeur, au premier rang desquels la modestie («Je ne suis pas indispensable, je ne suis pas le seul à savoir») et la confiance, c’est-à-dire reconnaître pleinement aux autres leurs capacités. Et Hans Wüthrich de préciser encore que la recherche permanente de sécurité, dans laquelle nos sociétés s’enferment, est une fiction. Il faut avoir le courage d’accepter d’apprendre et d’échouer. La qualité de l’échec doit retrouver une place dans nos modes de pensée car il n’y a pas d’expérience sans échec.

Geneviève Huot, directrice de la recherche et de la formation au Chantier de l’économie sociale au Québec, explique comment l’économie sociale est désormais institutionnalisée outre Atlantique et bénéficie même d’un plan quinquennal officiel auquel contribuent les services de l’Etat. Pour elle, c’est un grand pas qui est synonyme de reconnaissance vis-à-vis de la société civile et de sa participation à l’économie. Elle évoque le cas de nombreuses coopératives qui ont vu le jour pour sauver des crèches ou encore des services de pompes funèbres, à l’initiative des utilisateurs eux-mêmes.

Mathieu de Poorter, chargé de la communication à la Chambre de l’économie sociale et solidaire de Genève – APRÈS-GE, expose le fonctionnement de cette institution, qui existe à Genève depuis 2004 et regroupe près de 300 entreprises qui sont engagées dans la voie d’une économie durable pour l’avenir, notamment au travers du concept de la «lucrativité limitée», en échange d’impacts sociaux et environnementaux positifs. Pour lui, les acteurs de terrain doivent interpeller les politiques afin que le critère «d’impact sociétal» de l’activité de l’entreprise soit pris en compte lors de l’attribution des marchés publics au même titre que l’impact financier.

Dans un monde aux ressources limitées, il apparaît d’ores et déjà que nous ne pourrons pas survivre en tant qu’espèce si nous continuons dans la voie basée sur le rendement pur du capital, qui détruit le tissu social, la planète et engendre des conflits. Il nous faut donc inventer un nouveau paradigme, oser une nouvelle vision du monde. La route est longue et semée d’embûches, car oui, il y aura des aménagements de temps de travail, voire des licenciements dans un premier temps, mais si l’argent n’est plus la seule valeur qui régit nos vies, le temps qui ne sera plus passé au travail servira à tisser du lien, explorer nos possibles, développer notre créativité, s’occuper de notre environnement et permettre, ensemble, à la vie de continuer.