Ressources humaines ou inhumaines?

Conditions de travail • L’individualisation et la standardisation des conditions de travail, généralisées dans le privé, envahissent le service public, en mettant en péril ses missions et en péjorant la santé des salariés.

Pour rappel, en 2014, dans un intervalle de quelque mois, deux importants managers d’entreprises suisses ont mis fin à leurs jours. Il s’agit du directeur financier de Zurich Assurance Group, Pierre Wauthier, et le patron de Swisscom Carsten Schloter. La tendance pour expliquer ces faits, est toujours la même; les faiblesses individuelles, les problèmes de santé, l’incapacité à gérer le stress et la pression des actionnaires, la mauvaise organisation du travail, etc., finalement, la responsabilisation individuelle apparaît en filigrane comme la cause majeure de ces suicides.

Malades à cause du travail
Et pourtant, dans les principes et les codes de conduites supposés guider ces deux entreprises, on peut lire, par exemple chez Zurich Assurance : «Zurich ne veut pas seulement répondre aux attentes de ses clients, elle veut les dépasser. Pour cela, il lui faut des collaborateurs plus performants que la moyenne, qui se sentent bien, en forme et en bonne santé. Zurich promeut donc la santé de ses collaborateurs par de nombreuses mesures et de nombreux avantages». Et chez Swisscom, dans sa charte d’entreprise, on peut lire : «nos valeurs; nous plaçons l’Homme et ses relations au centre de nos préoccupations. Ensemble nous sommes plus forts». Le fossé entre les dires et la réalité s’impose cruellement.

Parallèlement à cela, un marché de formations continues se développe : cours pour apprendre à gérer le stress, management des émotions, cours de yoga, cours de gestion du temps de travail, cours de tolérance à la frustration, tout cela, finalement, ne sert à rien, si nous ne réussissons pas à changer les conditions dans lesquelles nous travaillons quotidiennement.

En Suisse, culturellement parlant, nous devons faire face à plusieurs tabous, par exemple, personne n’ose parler de son salaire, ni de son état de santé au travail. Si c’était le cas, les revendications salariales auraient sûrement été davantage à l’ordre du jour ainsi que la santé au travail. Ici la dimension privée est dépassée mais le fait n’est pas anodin: la santé au travail, c’est une affaire qui nous concerne tous/toutes. Qui n’a pas un voisin, un ami, un collègue ou lui-même malade à cause d’une surcharge de travail? Si, c’est le cas, alors que se passe-t-il en Suisse?

Les méthodes de management des entreprises privées sont arrivées maintenant dans la fonction publique : la compétitivité, la performance, la productivité et même la rentabilité se font une place dans le service public. Ce vocabulaire étrange apparaît, dans les périodes critiques, comme la soi-disant crise fiscale et budgétaire, le franc fort, où nous devons nous serrer la ceinture et où la péjoration des conditions de travail prend l’ascenseur.

Une ambiance de travail pourrie
Une société donnée doit savoir se remettre en question au moment où ses travailleurs ont perdu le plaisir d’aller au travail. Certains indicateurs nous font peur comme l’augmentation accrue des maladies psycho-sociales liées aux conditions de travail. Le pire c’est que le coût social et économique est payé finalement par le contribuable.

Dans les services publics, certains témoins parlent de la privatisation accrue de la fonction publique et ses répercussions sur les conditions de travail et sur la santé où nous pouvons voir, notamment, une revue à la baisse du statut et du salaire ou un changement du profil professionnel, une perte des droits démocratiques sur les lieux de travail, et dans certaines unités, l’impossibilité de donner son avis, sous peine d’avoir des avertissements, les techniques de disciplinarisation par certaines méthodes de management qui imposent des objectifs irréalistes et, dans la plupart des cas, sans donner les moyens d’y arriver. Certains dénoncent la mise en place de dispositifs de contrôle du temps et des tâches au minutage. L’imposition des tâches à la chaîne fragilise le travailleur-euse et précarise le travail. En produisant des tensions dans les équipes, l’ambiance de travail devient pourrie, le stress monte et c’est la galère.

Le travail se fait toujours collectivement, mais la tendance est à l’individualisation et à la personnalisation des responsabilités. Les évaluations périodiques qui numérisent ou traduisent en pourcentage certaines tâches, par essence qualitatives, par exemple dans les entretiens d’évaluations des objectifs. Certains chefs de service prescrivent un nombre idéal des entretiens journaliers qui doivent être faits par chaque assistant social sans prendre en compte la particularité de chaque dossier. S’agit-il d’une standardisation du social? Impensable pour certains, mais pas pour les chefs partisans du management des objectifs.

Le service public doit résister
Cette année, nous espérons ne pas avoir de managers suicidés, ni de politiciens-nnes épuisés par les doubles mandats, ni des travailleurs-euses malades en raison du travail. Il ne faut pas que cela devienne naturel d’être malade à cause du travail. Si le travail est né comme facteur de production dans l’industrie et dans le privé, on voit mal comment cette logique peut aboutir dans le service public, si a priori, on ne cherche pas la rentabilité et l’accroissement du capital investi.

Le service public, il ne faut pas l’oublier, est par essence autre chose. En effet, il s’agit de la distribution sociale de nos impôts et, dans ce but, des conditions de travail de qualité s’imposent pour éviter que nos fonctionnaires publics ne soient malades, sinon, les travailleurs-euses de la fonction publique et le peuple suisse en général doivent descendre dans la rue pour défendre le service public et les conditions de travail dignes afin de préserver notre santé.