Le collectif Jean Dutoit continue inlassablement à pointer une réalité que personne ne veut voir. Pourtant, ce ne sont pas moins de 100 sans-abris qui occupent depuis une semaine le bâtiment sis à au chemin du Closel 11, à Renens, après avoir été chassés du jardin du Sleep-in à la fin août, et avoir occupé le collège de Petit-Vennes, à la route de Berne, à Lausanne. Mais qui sont-ils? Ce sont des personnes qui n’ont pas de toit, migrants d’origine africaine qui ont résidé un temps dans d’autres pays européens, qui y ont demandé l’asile ou non, qui y bénéficient peut-être de cartes de résidence, qui ont parfois demandé l’asile en Suisse ou peut-être fait plusieurs allers retours entre différents pays européens…. Ce sont surtout des personnes qui recherchent, à travers l’Europe, à améliorer leur situation, et qui, faute d’entrer dans une «case» administrative, à part dans certains cas celle qui les renvoie d’une pays à l’autre, se retrouvent partout dans la rue. «On leur dit de se rendre au SPOP (Service vaudois de la population), mais une majorité d’entre eux n’y auront aucun droit, voire seront renvoyés vers la même situation, dans un autre pays», soulignent encore et encore les membre du collectif.
Bien loin d’une instrumentalisation
Lundi soir, les occupants du chemin du Closel invitaient la population et en particulier les autorités politiques à un débat public sous leur toit provisoire, pour «discuter d’une problématique complexe et urgente qui nécessite une recherche commune de solutions». Si deux politiques acquis à la cause avaient fait le déplacement, les personnes les plus attendues n’y étaient pas. Pourtant, se rendre sur place est sans doute la seule manière de se rendre compte de ce qui se joue véritablement au chemin du Closel. Tout d’abord, force est de constater qu’on est bien loin de l’«instrumentalisation» de «pauvres migrants» de la part d’un collectif autochtone qui aurait son agenda propre, comme ont pu le sous-entendre certains observateurs dans le cadre de luttes similaires. Si une chose frappait lors de la discussion de lundi, c’est bien la détermination des habitants à prendre en main leur propre destin, entourés de soutiens décidés à ne pas laisser des gens dormir à la rue. «Nous sommes venus depuis l’Afrique, nous savons prendre soin de nous-mêmes, tout ce dont nous avons besoin, c’est d’un toit!», ont ainsi insisté plusieurs des participants. Pour le reste, ils peuvent parfaitement se débrouiller et ne demandent rien, faut-il comprendre. Conscients des différentes étiquettes dont on les affuble, faute de disposer d’une case pré-existante à laquelle ils correspondraient, ils tiennent avant tout à souligner qu’ils sont «comme vous et moi»: «On nous appelle migrants, illégaux, mais en fait il n’y a pas de différence entre vous et nous. Sauf que nous dormons dans la rue, parfois sous la pluie. Même dans un bunker, on doit se coucher à 8h, on se fait réveiller tôt le matin et on doit partir, mais pour aller où? Qui d’entre vous voudrait vivre comme ça? Il faut vous poser cette question!», s’exclame l’un d’eux en s’adressant à l’assistance.
Un îlot de solidarité en pied de nez aux règlements
«Ce lieu nous permet de reposer notre esprit, il nous donne un répit», souligne un autre habitant. Et c’est peut-être avant tout ce qu’apporte le bâtiment du chemin du Closel. Un toit, mais aussi de la chaleur humaine, des rires, de la musique, du lien, et nombreux sont ceux qui le soulignent. Ici, on a comme le sentiment d’un îlot de solidarité qui ferait un pied de nez à la froideur des politiques et à la déshumanisation provoquée par les lois. Il suffit du reste de passer quelques minutes dans le bâtiment pour se rendre compte des liens qui se sont créés et de la complicité particulière qui règne entre les habitants et leurs soutiens, dont certains ont suivi l’aventure depuis le début et d’autres continuent à arriver. «Lorsque nous avons déménagé depuis la route de Berne, nous étions 120 dans le métro avec tout le matériel, c’était un moment unique!», me confie un militant près de l’entrée, un large sourire aux lèvres. Après le débat public, l’un des occupants me fait visiter la cuisine où s’activent plusieurs des locataires. «Nous cuisinons pour cinq ou six, par petits groupe. De nombreux voisins ont manifesté leur solidarité en amenant de quoi manger ou des habits. A la route de Berne, des gens venaient pratiquement tous les jours apporter des choses, mais ici, le lieu est un peu plus éloigné», commente mon guide.
Aucun dialogue possible
Seule ombre au tableau pour les habitants, et pas des moindres, il semble impossible de dialoguer avec le Conseil d’Etat. «Les autorités prétendent que nous sommes fermés au dialogue et préfèrent s’en remettre à la justice pour répondre aux questions que nous soulevons», expliquent-ils. Le jour de leur arrivée, ils auraient ainsi contacté l’Etat de Vaud et les transports publics lausannois, propriétaires du bâtiment, pour leur proposer d’ouvrir un dialogue, ainsi qu’un contrat d’usage du bâtiment par lequel ils s’engageraient à payer les charges d’électricité, la consommation d’eau et le chauffage. Pour toute réponse, ils n’ont toutefois obtenu qu’une plainte civile contre tous les habitants et se sont vu signifier la nécessité de quitter les lieux au 5 octobre. Les raisons évoquées pour justifier l’«urgence» de cette évacuation sont cependant largement incomprises: «Un éventuel retard, à terme», du projet de construction d’un tramway dans la zone (dont le crédit de construction n’a pas encore été voté), ou encore l’éventualité de louer les locaux pour des soirées d’entreprise, 5 à 10 fois par année, en attendant leur démolition. «Urgence, urgence, ce n’est pas une urgence!», s’exclame l’un des participants, qui peine visiblement à comprendre, malgré ses efforts, pourquoi il devrait se retrouver à la rue pour ces raisons.
En attendant que les autorités veuillent bien communiquer avec eux, les occupants ne demeurent toutefois pas les bras ballants, à attendre qu’on leur propose des solutions. Lundi, plusieurs idées constructives ont ainsi été lancées dans la discussion, comme l’hébergement chez des particuliers ou la déclaration de Lausanne comme «Ville-refuge», à l’image de Barcelone, Madrid, et d’autres villes «indignées» d’Espagne. Affaire à suivre.