Trois exploitations agricoles disparaissent chaque jour, 14,7% des enfants sont pauvres en Suisse, seules 10% des victimes de viol portent plainte, 2% possèdent autant que les 98% restants… ce sont quelques uns des slogans que l’on peut lire sur les affiches de campagne du POP et de solidaritéS dans le canton de Vaud. «Réagissons!» conclut le slogan. «Nous sommes partis de faits réels, de situations concrètes, pour montrer ce à quoi le système actuel nous mène», explique Christophe Grand, 29 ans, candidat au Conseil national. Chez les candidats de la gauche combative, qui regroupe le POP et solidaritéS à Genève et dans le canton de Vaud, et le POP à Neuchâtel, le souci de faire le lien entre le politique et la vie concrète semble permanent.
Le jeune photographe fraîchement diplômé n’hésite ainsi pas à rappeler qu’il sait de quoi il parle: «Je viens d’un milieu modeste, ma mère m’a élevé seule, en cumulant parfois différents postes de travail. J’ai pu voir les injustices sociales que vivent les plus démunis», explique-t-il. Et de rappeler que la Suisse, l’un des pays les plus riches du monde, comptait en 2012 3,5% de working poor. En tant que président des jeunes POP Vaud, il s’insurge en particulier contre les coupes prévues dans l’aide sociale pour les jeunes, récemment confirmées par la Conférence des directeurs cantonaux des affaires sociales. «Quant on sort d’études ou d’apprentissage, il n’est pas facile de trouver un premier emploi. Avec 20% d’argent en moins, cela ne sera pas plus facile! Ceux qui prennent des décisions sont parfois coupés des réalités de la vie», estime-t-il, avant d’ajouter que «le système capitaliste pousse de plus en plus de gens vers la précarité, les premiers touchés étant les jeunes et les retraités».
«A l’AVIVO, je vois la réalité des retraités»
Au chapitre des grands enjeux pour la prochaine législature, la défense de retraites dignes figure du reste parmi les priorités de la gauche combative, et notamment l’opposition au projet de réforme prévu par le Conseiller fédéral socialiste Alain Berset. «On nous fait sans cesse des prévisions catastrophistes relativement aux retraites en nous expliquant qu’il n’y a pas d’autre solution que de baisser les prestations. En 2000, on prévoyait des dettes de 17 milliards à l’horizon 2013, mais au final les résultats du fond de compensation AVS se sont montés à 43 milliards!», s’insurge David Payot, 36 ans, candidat vaudois au Conseil national. Et de souligner que le projet Berset tend à renforcer le 2ème pilier au détriment de l’AVS, alors que ce dernier représente un système bien plus solidaire, dans lequel les cotisations servent directement à financer les rentes de l’année suivante. «Le deuxième pilier, en revanche est une sorte d’assurance privée obligatoire», explique-t-il. Celle-ci fonctionne par capitalisation individuelle, dépend du montant du salaire perçu, est soumise aux aléas de la conjoncture et coûte beaucoup plus cher en termes de gestion. «Il permet cependant au assureurs de se faire de l’argent!» En tant qu’assistant social à l’AVIVO, David Payot connaît lui aussi bien son sujet, puisqu’il rencontre régulièrement des retraités dans son bureau. «Généralement, leur 2ème pilier n’a pas été indexé depuis une quinzaine d’années. Pourtant certaines caisses de pension ont un taux de couverture de 120%», dénonce-t-il.
«On ne choisit pas d’être pauvre ou malade»
La problématique de la recherche du profit au détriment du bien des assurés se pose également dans le domaine de la santé. Face à la récente annonce de hausse des primes d’assurance maladie, Bernard Borel, 62 ans, pédiatre, ancien député au Grand Conseil vaudois et candidat au Conseil national, se souvient amèrement de la campagne pour une caisse publique: «J’ai eu en face de moi des assureurs qui m’ont garanti qu’il n’y aurait pas trop d’augmentation des primes. En 2015, cela a été le cas, mais cette année elles augmentent du double pour compenser! Cela montre bien leur cynisme. Il s’agit d’un lobby très fort qui défend ses propres intérêts, pas ceux des assurés, et qui recherche avant tout à faire du bénéfice. Du point de vue de la santé, c’est insupportable!». Théo Bregnard, candidat à Neuchâtel, souligne quant à lui que «la hausse des primes ne correspond pas à la hausse des coûts de la santé» et revendique plus de transparence de la part des assureurs. Il rappelle en outre qu’«une personne sur 10 ne se fait pas soigner pour des raisons financières». Dans les cantons de Vaud et de Neuchâtel, des initiatives visant à ce que les soins dentaires, souvent les premiers concernés, soient remboursés, ont abouti et seront soumises au vote, mais le problème persiste dans de nombreux cantons. «On ne choisit pas d’être pauvre ou malade!», rappelle le député au Grand conseil neuchâtelois, qui se bat pour l’accès aux soins pour tous. Très investi dans la défense de l’hôpital de La Chaux-de-Fonds, il dénonce également les méfaits de la concurrence accrue dans le système de santé. «Les cliniques privées se spécialisent dans les domaines rentables et engrangent du bénéfice qui, plutôt que d’être réinvesti dans la santé, fini dans les poches des actionnaires, avec des conséquences en termes d’accès aux soins». «Les grands groupes se moquent de la santé et de l’éthique. Tout ce qui compte c’est vendre, vendre, vendre, on ne peut pas continuer ce modèle! Ils sont prêts à faire n importe quoi!», s’insurge Bernard Borel.
Personne n’a envie de payer des impôts, c’est normal! Mais….
«Quand je vois que le nombre de millionnaires augmente de 5% par an depuis 2008, et qu’en même temps on multiplie les coupes dans le social, cela me préoccupe!», poursuit Theo Bregnard. Pour rétablir la donne, l’imposition des plus riches et la redistribution sont la recette préconisée. Soit à peu près le contraire de ce que prévoit la troisième réforme de l’imposition des entreprises, autre gros sujet à l’agenda fédéral pour les années à venir. Sous couvert d’abolir l’imposition spéciale réservée aux multinationales dont le siège est en Suisse, celle-ci impliquera en effet dans plusieurs cantons une baisse généralisée de l’imposition des entreprises. Dans le canton de Vaud, la réforme est déjà en cours et «représentera 510 millions de pertes pour le canton et les communes, avec les diminutions de prestations correspondantes dans les service publics», souligne David Payot. «On dit souvent que la gauche veut faire payer trop d’impôts, personne n’a envie de payer des impôts, c’est normal, mais ce que l’on oublie de dire, c’est que moins d’impôts signifient aussi moins de prestations offertes par l’Etat, des prestations que seuls les riches pourront alors se payer!», rappelle Bernard Borel.
A l’heure actuelle, impossible finalement d’ignorer les questions du tournant énergétique, ou encore de la migration. «Il faudra trouver une façon de gérer notre économie tout en accueillant les migrants», estime Bernard Borel. «Les accords de Schengen-Dublin devront être revus. On essaie de repousser les problèmes vers les autres pays, mais cela n’est pas une solution», estime pour sa part David Payot. Céline Misiego, 35 ans et candidate aux Conseil national et aux Etats, ne manque finalement pas de rappeler la question de l’égalité hommes femmes, qui, si elle était atteinte, pourrait indirectement résoudre d’autres problèmes: «Si l’égalité salariale était obtenue en Suisse, les cotisations AVS supplémentaires payées par les femmes permettraient de faire la même économie que celle prévue par Berset.
«Dans 10 ans, nous serons peut-être bien plus au parlement!»
Mais même si la gauche combative obtient quelques sièges au niveau fédéral, comment pourra-t-elle changer des choses? A cette question, les candidats sont unanimes: «Nous devons avoir des espaces où des voix discordantes s’expriment», résume Bernard Borel. «Nous ne laisserons pas les coudées franches à la gauche gouvernementale», déclare quant à lui David Payot, qui donne comme exemples la réforme des retraites ou celle, récemment adoptée, des procédures d’asile: «Dans ce dernier cas, l’approbation du Parlement a été quasi unanime, avec seulement l’opposition de l’UDC qui estimait que la révision n’était pas assez restrictive. Il manque clairement une voix critique de gauche!». Il y a dans tous les cas urgence à agir, estime Bernard Borel: «Le modèle de société actuel court à sa perte, avec des déséquilibres massifs entre riches et pauvres et entre régions qui commencent à toucher l’Europe. L’Espagne, la Grèce, c’est ici, c’est nous!» Et d’ajouter qu’«il y a 4 ans on ne croyait pas à une possible victoire de Podemos en Espagne, mais dans 10 ans nous serons peut-être dix au parlement!». Faudra-t-il cependant atteindre la situation de la Grèce ou de l’Espagne pour que la population suisse se réveille?