Décidées à combattre le fatalisme ambiant

élections fédérales • A quelques jours des élections fédérales, nous nous sommes entretenu avec deux candidates au Conseil national et au Conseil des États: Céline Misiego, secrétaire cantonale du POP-Vaud et Derya Dursun, syndicaliste à Unia Neuchâtel. Celles-ci nous ont livré leurs réflexions sur le féminisme et la situation des femmes en politique et dans la société en général.

La Neuchâteloise Derya Dursun et la Vaudoise Céline Misiego défendent un changement de société pour lutter contre toutes les discriminations. ©PST/POP

«Pendant cette campagne électorale, j’ai été frappée par le traitement médiatique réservé aux candidates femmes!» s’insurge Céline Misiego. «Dans les rares articles qui parlaient du POP, et alors que je suis en tête de liste, j’étais mentionnée uniquement pour dire à quelle place j’étais arrivée aux dernières élections. Il y a également un média qui a fait une analyse des affiches électorales. Sur notre affiche, le seul commentaire concernait mon aspect physique: on me reprochait de ne pas sourire!». Une couverture pour le moins superficielle, alors que sur les sujets politiques importants et actuels, la candidate a bien des choses à dire. Sur le «Paquet Berset» par exemple: «Pour moi, le gros scandale de cette réforme de la prévoyance vieillesse, c’est l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes. En Suisse, l’inégalité salariale représente 7.7 milliards de francs qui échappent aux femmes chaque année. Si les femmes étaient payées comme les hommes et que des cotisations AVS étaient prélevées sur leur salaires, c’est 840 millions de francs en plus qui rentreraient dans les caisses de l’État chaque année. C’est donc l’égalité salariale qu’il faut réaliser pour améliorer les rentrées de l’AVS, pas faire travailler les femmes un an de plus!»

«Rien ne garantit que les politiciennes élues défendront les femmes»
Le sexisme ordinaire auquel a été confrontée Céline pendant cette campagne ne surprend pas vraiment Derya Dursun. Selon elle, «il y a un malaise social et une incapacité à résoudre les problèmes liés aux revendications féministes. Cela renforce l’idéal de la femme au foyer, dont l’unique tâche est de procréer et de s’occuper de ses enfants. La femme est assise entre deux chaises: la maternité et la citoyenneté». Pour elle, il faut s’inspirer de figures féminines historiques comme Rosa Luxemburg et Clara Zetkin, qui ont joué dignement leur rôle de citoyennes, et ne pas oublier que c’est à travers des luttes acharnées que l’on pourra renforcer la participation des femmes en politique. Mais une meilleure participation ne signifie pas que c’est uniquement par ce biais que l’égalité sera atteinte. «Premièrement, rien ne garantit que les politiciennes élues vont défendre les intérêts des femmes. Et deuxièmement, il faut garder à l’esprit que les femmes élues sont la plupart du temps issues des classes les plus aisées de la population. Ces femmes peuvent-elles réellement représenter les ouvrières?». «Il faut avoir une réflexion sur un modèle de société qui convienne aux hommes et aux femmes, complète Céline Misiego. Il y a des hommes qui se battent pour l’égalité, et des femmes qui, une fois élues, défendent des politiques anti-femmes».

Car pour Céline Misiego comme pour Derya Dursun, on ne peut pas traiter la question de l’inégalité homme-femme de manière isolée. La secrétaire politique vaudoise le dit clairement: «il y a la domination patriarcale, et il y a le capitalisme, qui domine aussi les hommes. Lorsque la femme sort du foyer et commence à travailler pour un patron, elle se retrouve elle aussi exploitée». Derya Dursun va dans le même sens: «Le féminisme est un outil puissant pour changer la société, mais il faut qu’il débouche sur une remise en question de l’ordre social! Les inégalités entre sexes sont engendrées par le mode de production en place. Le modèle d’égalité mis en avant en général est celui où les femmes rejoindraient le statut des hommes dans le monde existant. Mais ce qu’il faut en réalité, c’est une égalité active, qui construit un monde nouveau mettant en œuvre d’autres rapports sociaux.»

Avoir une vision de la totalité
Prendre en compte les autres rapports de domination signifie aussi admettre que toutes les femmes n’ont pas les mêmes priorités ou les mêmes revendications. Pour Céline Misiego, qui est membre du collectif féministe vaudois Feminista, même si le but final de toutes les féministes est le même – l’égalité -, «il y a des organisations qui vont par exemple vouloir parler de sexualité féminine en priorité. Ça peut paraître futile pour certaines, mais pour nous, c’est une question centrale. D’autres féministes, comme les féministes musulmanes, proposeront des chemins et des revendications qui leur sont propres. C’est bien normal et malgré cela, nous devons toutes essayer de tirer à la même corde». Derya Dursun met elle aussi en garde contre celles et ceux qui, au nom de la «libération de la femme», créent des divisions. «Je crois qu’il faut faire attention à ne pas tomber dans le piège qui consiste à se définir contre quelque chose, par exemple contre les femmes qui portent le voile, nous dit-elle. Avoir une vision de la totalité est primordial. Droits des étrangers, droits des travailleurs et travailleuses, droits des femmes, droits des femmes musulmanes, droits des femmes blanches… Il faut une intégration sous l’angle de la citoyenneté, avec un projet de transformation de la société. Sans cela, on ne fera rien d’autre que de perpétuer le système de discrimination en place.»

Dans le contexte actuel, pas facile d’aller dans cette direction. Dans la pratique, Céline Misiego constate une certaine division des luttes: «Il y a souvent des démarches individualistes. Un-e tel-le défend son salaire, l’autre son poste de travail, mais on voit que c’est difficile de développer des liens de solidarité avec d’autres personnes ou d’autres groupes en lutte.» Pour Derya Dursun, «il faut commencer par combattre le fatalisme ambiant pour donner envie de participer à la chose collective. Nous avons le choix, même si la Bible libérale nous martèle qu’il n’y a pas d’alternative! Et bien entendu, il faut travailler sur l’éducation, une éducation basée sur la solidarité, la coopération et sur l’incarnation des utopies, parce qu’elles font avancer le monde.