Aux sources de la création artistique, la variation

Musique • Thèmes et variations sous les doigts de Radu Lupu pour le concert anniversaire de ses 70 ans à Martigny.

Il est en musique des thèmes et variations célèbres: les Goldberg de Bach, les Diabelli de Beethoven, celles de Brahms sur un thème de Haendel: elles figurent à l’affiche des récitals, pour ne pas parler de celles données en concert, qui sont un mouvement d’une sonate, d’un quatuor, d’une symphonie. Pourtant il est rare qu’un pianiste propose trois recueils de variations en première partie de soirée: les variations op.21, n° 1 de Brahms, qu’on entend pratiquement jamais, les 32 en do mineur sur un thème original de Beethoven, rarement données, et celles sur un Menuet de Duport de Mozart. En deuxième partie, Radu Lupu jouera la Sonate en sol majeur D. 894 de Schubert, peut-être la plus belle, «la plus parfaite» disait Schumann; ses thèmes émeuvent dans leurs ineffables éclairages dramatiques ou contemplatifs, en particulier celui du trio du Menuetto qui laisse entrevoir le souvenir d’un bonheur impossible et qui ne sera plus.

Orner, déduire, révéler

L’idée de variations remonte sans doute aux origines de la musique et elle est liée à celle d’improvisation. Mozart, on le voit dans les variations sur un Menuet de Duport, va jouer sur l’ornementation du thème et cette suite de pièces révèle la richesse et la virtuosité de son écriture pianistique. Avec Beethoven, la variation explore les possibilités multiples qui peuvent être déduites non seulement du thème mais des motifs et fragments de thème et vont en faire apparaître des aspects et une substance insoupçonnées, au point que dans ses dernières variations on a l’impression de découvrir l’essence véritable du thème quand il réapparaît tout à la fin. Du reste Beethoven utilise la variation dans ses œuvres les plus abouties en lui donnant une force tragique et une profondeur d’expression qui, selon le musicologue Rosen, «exprime les contradictions internes du réel, entre lutter et exister.» Brahms aussi va écrire de nombreuses variations dont l’ampleur, la liberté et la densité d’écriture en font une grande forme d’un seul tenant. Il appelait les variations op. 21, n° 1 ses «Variations philosophiques». Alternant les climats à partir d’un thème lyrique et chantant, décelable même quand il ne reste plus une note de la mélodie, elles sont une profonde méditation au caractère intimiste qui n’exclut pas des passages passionnés.

L’art de la variation n’est pas propre à la musique seulement. On pense aux Ménines de Picasso, à La Montagne Sainte-Victoire de Cézanne. Mais il est vrai, comme le relève le critique littéraire Gérard Genette, que «en musique les possibilités de transformation sont beaucoup plus vastes qu’en peinture et qu’en littérature du fait de la grande complexité du discours musical». La variation répond certainement à un besoin inné d’identité et d’altérité, à la perpétuelle interrogation sur ce qui est et sur ce qu’on en fait. Le thème se révèle dans ce qui le crée différent tout en le laissant présent. «Je est un autre», écrit Rimbaud. On peut philosopher en effet, à l’instar de Brahms! Antonine Maillet, dans le 8e Jour dit : «La vie, au fond, est un nombre infini de variations sur un même thème».

Ainsi le récital de Radu Lupu, ce 19 novembre à la Fondation Gianadda à Martigny, conduit bien au-delà de la simple partition musicale tout en dévoilant les horizons infinis que peut ouvrir un thème à travers ses variations.

Martigny, Fondation Gianadda, 19 novembre, 20h.
Loc.: 027 722 39 78 – info@gianadda.ch