«Un nouvel échec de la stratégie de Sarkozy»

France • Les électeurs ont propulsé le FN en tête des votes au premier tour des régionales françaises dans 6 régions. Pour le chercheur en sciences politiques Joël Gombin, le choix de concurrencer le FN sur ses thèmes légitime son discours et alimente une forme de vote utile en sa faveur (réd., l'Humanité)

Propos recueillis par C. D., paru dans l‘Humanité

Quelle est votre analyse du résultat du FN?
Joël Gombin Ce score est extrêmement élevé. Il est historiquement élevé. D’aucuns se consolent en pensant que le nombre de voix n’a pas dépassé celui des voix recueillies par Marine Le Pen en 2012. Je pense qu’il s’agit d’une analyse en trompe-l’œil, puisque la participation était plus forte en 2012. Les listes de droite perdent la moitié des voix entre la présidentielle et aujourd’hui. Le score du FN traduit une surmobilisation de l’électorat FN mais aussi un élargissement et dans certains endroits comme en Paca, un réalignement.

Le vote FN n’est-il pas considéré par des électeurs comme le vote le plus utile à droite?
Il n’y a pas tripartition de la vie politique (gauche, droite, FN – ndlr) mais un bloc des droites du point de vue de la demande électorale. Au sein de celui-ci, il y a une assez forte porosité. Et en fonction de l’actualité politique, les électeurs peuvent considérer que c’est le FN ou Les Républicains qui constituent l’offre la plus utile. En Paca, il semble bien qu’ils aient largement considéré que c’était le FN qui était le plus crédible, le plus à même de l’emporter.

Est-ce un vote d’adhésion ou un vote d’exaspération?

Cette vieille dichotomie ne fonctionne pas très bien. D’abord parce qu’on ne tend à poser cette question qu’aux électeurs du FN, pas aux autres électeurs. Comme s’il était inconcevable que des gens soient convaincus par les positions de ce parti. Sans forcément trancher le débat, il est certain que nous sommes face à un vote récurrent, d’habitude et non un vote ponctuel, face à un vote qui vise à la victoire du FN, face à un électorat qui se mobilise quand il y a possibilité de victoire. Il ne s’agit pas, comme on l’a souvent dit et comme Nicolas Sarkozy l’a encore dit, d’envoyer un message. Il s’agit pour ses électeurs de faire élire des candidats du FN. On voit que dans les villes qui ont élu un maire FN en 2014, le FN a continué à gagner du terrain. Il faut accepter aujourd’hui qu’une partie importante de la population adhère, si ce n’est à chacune des idées prises séparément, mais à la vision du monde ethnocentriste du FN.

«Un vote qui vise à une victoire», dites-vous. Cela voudrait dire que la présidence de certaines régions se trouvant à portée de main du FN, un surplus de mobilisation est envisageable dimanche prochain?
C’est une hypothèse qu’il ne faut pas exclure. Dans les calculs, on ne peut pas se contenter d’additionner les résultats du premier tour. Rien ne garantit que les reports de la gauche vers la droite soient parfaits. Or, Christian Estrosi, s’il veut l’emporter dans la région Paca, a besoin de reports excellents. Ou alors il faut un surcroît de mobilisation des abstentionnistes.

Le score d’Estrosi notamment, signe-t-il l’échec du choix de concurrencer le FN sur ses thématiques?
Estrosi était un candidat dont la fonction était d’incarner une ligne sarkozo-estrosiste ou estroso-sarkozyste. Il s’agissait d’une forme de test dans la perspective de 2017 de la stratégie de concurrence du FN venant non seulement sur ses thèmes mais de plus en plus sur ses thèses. J’avais observé dès 2012 que cette stratégie ne fonctionnait pas puisque les candidats aux législatives de la droite populaire réalisaient de moins bons scores que les autres candidats UMP. On en a une nouvelle illustration. Non seulement cela ne fonctionne pas, mais cela produit des effets de légitimation de l’offre électorale frontiste qui contribuent à élargir le potentiel électoral du FN et à pousser un certain nombre des électeurs de droite à voter directement pour le FN. C’est un échec dont Sarkozy va devoir tenir compte pour sa stratégie en 2017.

Face à la droite et à l’extrême droite, la gauche se rassemble

Réd., avec l’Humanité

Après les résultats inquiétants du premier tour des régionales, qui ont une vue une poussée du FN en France, le PS, Europe Écologie-les Verts et le Front de gauche ont décidé de déposer des listes communes pour le second tour dans huit préfectures. Avec des possibilités de remporter des régions comme en Ile-de-France. Au premier tour, la liste de droite de Valérie Pecresse a obtenu 30% des suffrages, le FN 18,41%, alors que la gauche, dans son ensemble, a obtenu près de 40%. Il s’agit maintenant que la dynamique d’unité de la gauche s’amplifie au 2ème tour. En Normandie, où le PS a obtenu 23% les voix, le regroupement de la gauche avec le Front de gauche (7% des voix) et les Verts (6,1% des voix) pourrait être suffisant pour battre le FN et les Républicains. Dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, la liste du socialiste Jean-Jacques Queyranne, qui a obtenu 25% de suffrages pourra compter sur l’appui du Front de Gauche (5,3% des voix) et des Verts (6,9%) pour défaire la liste de Laurent Wauquiez (Les Républicains).Ces accords électoraux ponctuels ne signifient pas pour autant un retour à la gauche plurielle et la gauche combative garde une ligne critique par rapport au gouvernement.

«Personne ne se rallie à personne. L’addition de ces listes est la seule manière d’empêcher la victoire totale de la droite et de l’extrême droite», a prévenu le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent. Même tonalité du côté écologiste: «Le 13 décembre, la question n’est pas de savoir si on aime bien ou pas François Hollande ou Manuel Valls », estime David Cormand, en charge des élections à EELV, «mais de savoir si on veut que les régions aillent à la droite, à la droite la plus extrême ou à des coalitions citoyennes, solidaires et écologistes.»