Mieux vaut en rire qu’en pleurer

Opéra • Avec ses satires décoiffantes, ses vérités joyeusement grinçantes, «Les Mamelles de Tirésias» à l‘Opéra de Lausanne amusent autant qu’elles interpellent, suivies du ballet «La Gaité parisienne», espiègle et tendre.

Adapté de la pièce homonyme de Guillaume Apollinaire, l’opéra-bouffe de Poulenc, Les Mamelles de Tirésias, a été créé le 3 juin 1947 à Paris. Avec une verve cocasse, une fantaisie débridée qui ne craint ni l’absurde ni certaines tendres langueurs, il raconte l’histoire de Thérèse devenue Tirésias. En effet cette jeune femme a décidé de changer de sexe pour acquérir pouvoir et liberté dans un monde d’hommes où sa féminité lui vaut d’être harcelée et juste bonne à procréer. A son mari de faire des enfants! Il en fait tant du reste qu’il y a menace de famine! Finalement elle et lui se retrouvent, se tombent dans les bras, tendrement amoureux, dans un final flamboyant de musique et de couleurs. Surréaliste, déjanté, d’une folle extravagance, entraînant le public dans un délire musical endiablé, Les Mamelles de Tiresias lance quelques vérités qui sont encore actuelles.

Dépopulation et émancipation des femmes
Le directeur de la troupe annonce le sujet de l’opéra: l’émancipation des femmes, la dépopulation suite à la guerre. Poulenc parodie formes lyriques et genres musicaux, enchaîne sans un temps mort danses, airs, chœurs avec une virtuosité étincelante, un sens inné de la mélodie et un art consommé de la prosodie. Il ridiculise en passant quelques symboles d’un certain ordre social: une paire de seins, une barbe, un journaliste parisien, un gendarme, une cartomancienne; par moments l’émotion se glisse dans ces scènes burlesques.

Dans la fosse, l’Orchestre de chambre de Lausanne sous la direction de Daniel Kawka trépigne de vie, de rythme, de légèreté ou de comique grandiloquence, tandis que sur le plateau les solistes ont la voix et la gouaille de leur rôle. Le timbre un brin acide de Céline Mellon convient fort bien à Thérèse et Régis Mengus soutient à merveille son rôle de mari. Guillaume Paire s’impose avec prestance…et loufoquerie en directeur. Excellents débuts de Louis Zaitoun, le fils raté. Jérémie Brocard, Stuart Patterson, Marina Viotti complètent la distribution avec talent et bagou. Le décor de Ricardo Sanchez-Cuerda, la mise en scène de Emilio Sagi soulignent, sans charges superflues, ni vulgarité, mais avec mille détails amusants, le côté canaille et parodique, parfois tendrement poétique, du sujet.

Espiègle et grave, «La Gaîté parisienne»
En deuxième partie de soirée, le Béjart Ballet Lausanne et des élèves de l’Ecole-Atelier Rudra reprennent La Gaîté parisienne, un ballet créé par Béjart en 1978 à Bruxelles sur une musique de Manuel Rosenthal d’après Jacques Offenbach. C’est l’histoire «d’un jeune homme dansant avec ses illusions, écartelé entre les exigences de l’art et les frivolités de la vie», dit Gil Roman. C’est aussi la fresque colorée d’une époque avec crinolines, tutus, uniformes clinquants pour dire le parcours initiatique d’un jeune danseur, rôle tenu par Masayoshi Onuki qui touche, mutin et tendre, et dont la présence scénique est remarquable; avec un Offenbach – Mattia Galiotto – plaisantin, irrésistible d’entrain; avec une musique joyeuse enchaînant ballet classique et danse contemporaine, autodérision et émotion. Et d’avoir une partition jouée par un orchestre présent dans la salle plutôt que de la musique enregistrée décuple le plaisir. Le public ne s’y trompe pas, enthousiaste, avant de valser bien malgré lui, ce dimanche soir, sur les trottoirs gelés de Lausanne!

Les Mamelles de Tirésias, La Gaîté parisienne, Opéra de Lausanne, jusqu’au 24 janvier