Crise migratoire: il y a urgence d’agir

migration • Médecins du Monde appelle les gouvernements à garantir à tous les migrants des voies de migration sûres vers l’Europe. «Le projet de créer 50’000 places dans des centres d’accueil en Grèce ne suffira pas à contenir la vague migratoire», estime l’ONG.

Présente à la frontière entre la Grèce et la Macédoine, l’ONG Médecins du Monde Suisse effectue 1000 consultations médicales par semaine ©MDM

Chaque semaine qui passe, l’Europe, sous l’influence populiste et jouant sur les peurs, se referme d’avantage. Si, il y a 6 mois, on s’insurgeait encore de la fermeture des frontières voulue par le gouvernement d’extrême droite de Hongrie, maintenant, les gouvernements européens saluent la fermeture de la frontière entre la Grèce et la Macédoine et accusent le gouvernement grec de laxisme. Pourtant, ce dernier vient de décider, sous pression des instances européennes, de mettre sur pied 6 centres de rétention dont la gestion sera assurée par l’armée! Mais rien n’arrête le flux des réfugiés, qui fuient les champs de guerres. Ni l’hiver, ni les eaux déchaînées de la mer Egée, ni les passeurs malveillants, ni les bateaux affrétés par Frontex, ni même la menace de l’entrée en lice de l’OTAN. Il y a seulement plus de morts, comme il y en aura plus à la frontière entre la Syrie et la Turquie, où plus de 60’000 personnes sont coincées actuellement, le gouvernement turc, avec la bénédiction de l’Europe, refusant d’ouvrir ses frontières aux personnes qui fuient les récents bombardements d’Alep. Il faut dire que la Turquie héberge déjà plus de 2 millions et demi de Syriens, la plupart restés dans l’Est de la Turquie, probablement dans l’espoir de retourner dans leur pays. Mais l’Europe préfère fermer les yeux sur cette situation que d’ouvrir ses frontières à ces gens, ces familles qui fuient et qui méritent protection au sens des Conventions de Genève. Présente depuis septembre 2015 à la frontière entre la Grèce et la Macédoine, l’ONG Médecins du Monde Suisse (MdM-CH) peut témoigner de la souffrance, mais aussi de la détermination de ces demandeurs d’asile. Pas moins de 1000 consultations par semaine sont faites par les équipes sur place, dont un quart pour des suites de traumatismes ou blessures. 25% concernent des enfants (parfois très petits), et un tiers des femmes ou des filles. La moitié sont des Syriens et seuls 5% ne sont pas du Proche-Orient. Voilà une image de ces migrants, souvent exténués et qui maintenant voient souvent leur voyage stoppé, juste de l’autre côté de la frontière, par moins 15 degrés.

Des soins donnés sur les ferrys

MdM a décidé d’offrir des soins, en amont, sur les ferries qui amènent ces demandeurs d’asile depuis les îles de la mer Egée vers Athènes ou Thessalonique, ceci également afin de détecter rapidement ceux qui ont besoin de soins spécialisés. Car en moins de 3 mois, ce ne sont pas moins de 45 patients qui ont dû être hospitalisés (avec toutes les difficultés que cela comporte) et 200 qui avaient une maladie chronique nécessitant un traitement journalier interrompu brusquement, souvent au moment du passage en mer. De très nombreux patients dévoilent pendant la consultation les mauvais traitements subis durant leur voyage (dont on peut observer les stigmates), en particulier infligés par les passeurs mais aussi par des inconnus, lors des attentes parfois longues au passage des frontières.

10’000 mineurs disparus

Fort de ces observations, le réseau des Médecins du Monde (MdM) européen appelle les gouvernements à garantir à tous les migrants, indépendamment de leur nationalité, des voies de migration vers l’Europe sûres et à l’abri de la violence. Le projet de créer 50’000 places dans des centres d’accueil et de tri (en fait de rétention!) en Grèce ne suffira pas à contenir la vague migratoire. C’est pourquoi le réseau MdM demande formellement aux gouvernements d’assurer à ces populations des conditions d’accueil conformes aux normes minimales de l’intervention humanitaire, telles que définies dans la Charte humanitaire ( concernant l’hébergement, l’accès aux soins, à l’eau potable et à la nourriture, tout comme l’accès à l’information ) et respectant les Conventions de Genève. Une protection spéciale doit être assurée pour les personnes vulnérables, en particulier les femmes qui voyagent seules et les mineurs. Le réseau MdM s’inquiète que, selon les données du HCR et de l’OIM, en 2015, plus de 10’000 mineurs, dont un grand nombre de moins de 15 ans, pourtant enregistrés à leur entrée en Europe, ont «disparu» des registres européens: l’on ne connaît pas leur devenir, preuve du manque de suivi des autorités! Il y a urgence humanitaire, urgence humaine, et les gouvernements élus, tout comme les citoyens, ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas… N’est-il pas temps de réagir et d’interpeller nos autorités?

Bernard Borel, président de Médecins du Monde Suisse