«La solution est très simple. Ce qui manque, c’est la volonté politique»

Dossier • Omeima Abdeslam est la représentante du Front Polisario en Suisse et auprès des Nations Unies. Ses tâches sont la sensibilisation de la société civile et des autorités suisses sur la situation du peuple sahraoui, le contact avec les différents groupes de soutien ainsi que l’organisation du travail des délégations sahraouies avec les Nations Unies.

«Ce qui intéresse l’UE et les Etats-Unis, c’est la stabilité du Maroc, qui est une porte importante de la migration vers l’Europe et joue un peu le chien de garde de l’UE à ce niveau», constate Omeima Abdeslam. ©Benjamin Visinand

La situation du Sahara occidental est peu connue du grand public. Ses terres sont revendiquées par la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) et par le Royaume du Maroc, qui l’occupe depuis 1975. Du point de vue du droit international, quel est le statut de ce territoire?

Omeima Abdeslam Les Nations Unies considèrent qu’il reste 17 territoires non-autonomes sur la planète, dont un seul en Afrique: le Sahara occidental. Il s’agit donc d’un territoire non-décolonisé, en litige, dont la population n’a pas pu exercer son droit à l’autodétermination. Nous voulons que la population puisse se prononcer et dire si elle souhaite être marocaine, autonome – donc toujours sous la protection du Maroc mais avec une certaine marge de manœuvre – ou indépendante. Actuellement, la RASD est un État indépendant qui contrôle 30% de son territoire, ce qu’on appelle les territoires libérés. Une quarantaine d’États africains et latino-américains nous reconnaissent comme tel, mais malheureusement aucun État occidental.

Les Nations Unies reconnaissent-elles la RASD?

Non, mais elles reconnaissent le Front Polisario comme négociateur face à l’État marocain. Ce que nous voulons, c’est que les États reconnaissent la RASD pour obliger le Maroc a accepter son existence. Le Maroc aujourd’hui se sent tout-puissant: il peut faire ce qu’il veut et ne subit aucune pression. Il peut se permettre de bloquer le processus de paix et d’empêcher les Nations Unies de réaliser leur mandat qui est d’organiser le référendum. Notre conflit montre toute la faiblesse des Nations Unies. En réalité, la solution à notre conflit est très simple: il suffit de laisser les personnes recensées par les Nations Unies s’exprimer par un vote. Ce qui manque, c’est la volonté politique (le Maroc a différé plusieurs fois cette consultation sous prétexte de différends concernant le recensement, tout en pratiquant une politique de «marocanisation» du territoire. Aujourd’hui, dans les territoires «occupés», la majorité de la population est marocaine, ndlr).

Quels sont les enjeux économiques liés à ce territoire?

Nous avons un territoire très riche en ressources naturelles, notamment en phosphates, utilisés pour faire des engrais, mais aussi en pétrole et en produits alimentaires (tomates, poissons). De nombreuses entreprises comme Total ou Kosmos concluent des accords illégaux avec l’État marocain pour chercher à faire du profit en exploitant nos terres. Et ce ne sont pas que les entreprises qui s’y intéressent. L’année dernière, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a décidé d’annuler l’accord agricole et de pêche dans les eaux sahraouies conclu en 2012 entre l’UE et le Maroc. La CJUE a rejeté cet accord, car il ne garantissait pas que les habitants du Sahara en profiteraient. La réaction de la diplomatie marocaine ne s’est pas fait attendre: elle a exigé des garanties de la part de l’UE, sans quoi d’autres accords pourraient être remis en question.

Pourquoi recevez-vous si peu de soutien de la part des pays européens?

Ce qui intéresse les États européens et les États-Unis, c’est la stabilité du Maroc. Rappelons-nous que le Maroc est une porte importante de la migration vers l’Europe, et joue un peu le chien de garde de l’UE à ce niveau. Quant aux pays arabes, la plupart ne veulent pas d’un pays indépendant avec des femmes fortes comme les femmes sahraouies, qui ont le droit de divorcer, qui ne connaissent pas la violence domestique et qui participent à la vie politique. (Héritières d’une société matriarcale, les femmes sahraouies sont à la base de l’organisation de la vie dans les camps. Distribution des aliments, gestion de l’eau, éducation, politique: elles sont visibles et jouent un rôle important à tous les niveaux de la société, ndlr). Chacun a ses raisons de soutenir le Maroc, un pays dictatorial dirigé par un roi corrompu qui considère sa population comme sa clientèle, tandis que notre cause peine à trouver des appuis.

Y a-t-il des entreprises suisses actives au Sahara occidental?

Oui, par exemple Glencore-Xstrata, domiciliée à Zoug. J’aimerais également attirer l’attention sur un autre élément problématique qui devrait inquiéter la Suisse. Il s’agit du «Forum Crans-Montana», qui organise un événement important intitulé «Afrique et coopération Sud-Sud: Une meilleure gouvernance pour un développement économique et social durable». Cet événement aura lieu du 17 au 22 mars 2016 dans la ville occupée de Dakhla. Ce forum n’est pas suisse et la Suisse officielle n’y participe pas, mais les organisateurs utilisent l’image et le prestige de la Suisse pour y attirer des personnalités. Nous sommes en train de faire une campagne pour expliquer aux participants qu’en se rendant à ce forum, ils reconnaissent implicitement l’occupation du Maroc sur le Sahara Occidental. Ils négocient avec l’occupant, ce qu’aucun pays membre des Nations Unies ne devrait faire, car cela bloque le processus de paix.

Qu’attendez-vous en priorité de la société suisse?

Ce que j’aimerais, c’est que la société civile apprenne à connaître ce peuple pacifique qu’est le peuple sahraoui. Nous avons besoin que les partis politiques se mobilisent avec nous pour que la Suisse nous soutienne par des actes concrets, que la Suisse, comme capitale des droits humains, défende la protection des droits humains au Sahara occidental.