Lutte de classes en Pologne

Théâtre • La pièce de Slawomir Mrozek transforme le Temple de la Fusterie en lieu d’asile, comme il le fut lors de la révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV.

Pologne, deux hommes face à face dans un temple. Ils viennent d’y être transférés. Ils ont émigré du même pays, mais les motifs de leur départ divergent. AA (Jacques Maître), intellectuel, fréquentait sans doute l’élite dans son pays, et a certainement dû fuir pour des motifs politiques. XX (Vincent Jacquet), ouvrier, a tenté sa chance comme des milliers de migrants économiques. Il a laissé sa famille au pays, et espère lui offrir une vie meilleure. Leurs points communs: une langue, une origine. Mais ce qui frappe, ce sont leurs nombreuses divergences éclatant en dents-de-scie à intervalles réguliers. Ils s’affrontent, se réconfortent, se détestent, se bousculent dans ce que l’on pourrait ramener à une lutte des classes minimaliste. Deux hommes représentant à eux seuls deux classes.

 Sourire et consternation

L’intellectuel théorise sans comprendre un centième de la condition de l’ouvrier, ni ses rêves, ni ses envies. Il dispose de tout l’argent dont il a besoin. Ses mains ne sont pas abîmées. L’ouvrier travaille toujours plus pour gagner plus, s’imaginant qu’il rentrera au pays tel l’enfant prodigue et qu’il y sera accueilli en héros. Entre les deux, un Polonais (Nicolas Fortini) fait des apparitions, nous rappelant que les deux hommes se trouvent en terre étrangère, que la solitude les envahit de plus en plus et que la solidarité prend un tout autre sens lorsque c’est sa propre peau qu’il faut sauver. Certaines des situations, évoquant la farce, vous font osciller entre sourire et consternation. Les personnages révèlent les facettes multiples d’une humanité à la dérive et à la merci de l’argent. Finalement, un émigré reste et demeure un être complexe emportant de par le monde une histoire qui le dépasse et à laquelle il ne saurait échapper.

La pièce Les Emigrés de Slawomir Mrozek interprétée par la Compagnie Virgule, créée en 2012 par Vincent Jacquet et Nicolas Fortini, est mise en scène par Jacques Maître. Elle se joue au Temple de la Fusterie jusqu’au 18 mars. Elle y sera reprise en juin.