Enfin égaux devant les impôts

La chronique féministe • Il y a comme ça des injustices criantes qui perdurent pendant des décennies, comme l’inégalité de salaires entre femmes et hommes, ou comme l’imposition plus lourde des couples mariés par rapport aux concubins.

Le PDC avait raison de dénoncer cette inégalité de traitement, mais c’est la manière qui ne fut pas la bonne. Qu’est-ce qui a pris à ce parti, pourtant habitué aux arcanes de la politique, de définir le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme? Il était prévisible que cette définition traditionaliste allait mettre sur les pattes arrières les progressistes du pays, qui ne voulaient à aucun prix fermer l’avenir au mariage pour tous.

Il existe pourtant un moyen simple de mettre tous les citoyen-ne-s sur pied d’égalité devant l’impôt: la déclaration personnelle. Depuis le premier salaire jusqu’à la mort, chacun-e remplirait sa déclaration, quel que soit son état civil. Une égalité parfaite entre femmes et hommes. Cette solution semble donc frappée du bon sens, et était défendue avec conviction, sur les plateaux de télévision, par Isabelle Moret, PLR vaudoise.

Naturellement, elle est combattue, notamment par l’UDC. Selon Thomas Aeschi (UDC/ZG), l’imposition individuelle représente une tentative de miner l’institution du mariage! Assertion qui n’étonne pas venant du parti le plus misogyne de Suisse (il avait par exemple lancé une initiative de déduction fiscale pour les parentes qui gardent eux-mêmes leurs enfants, rejetée en 2013 par près de 60% des votant-e-s). D’autres prétendent qu’il faudrait remplir 800’000 déclarations de plus, alors que 80% des conjoints remplissent leurs déclarations en ligne. Et dans le canton de Vaud, la feuille de taxation comporte une colonne pour le conjoint 1 et une colonne pour le conjoint 2, ce qui ne représente pas une augmentation des documents.

Le ministre des finances Ueli Maurer est aussi réticent: selon lui, la répartition des revenus et de la fortune entre les conjoints ainsi que des déductions pour enfants et l’imposition des mineurs poseraient problème. Mais ce sont des aspects pratiques qui pourraient être facilement résolus.

Le système individuel va dans le sens de l’histoire. De nombreux pays l’ont déjà adopté, notamment l’Autriche, la Suède et la Grande-Bretagne. Aucun de ces pays n’a croulé sous «un monstre bureaucratique très coûteux», comme a lancé Aloïs Gmür (PDC/SZ) pour faire peur aux progressistes.

L’individualisation de l’impôt favoriserait le travail des femmes. Quand le salaire supplémentaire d’une femme mariée qui décide de revenir dans le monde du travail est versé quasi intégralement au fisc, c’est décourageant. Par ricochet, on pourrait recruter davantage de main-d’œuvre indigène, le potentiel représente quelque 50’000 emplois.

Elle répond aussi à l’évolution de la société, où les modes de vie sont de plus en plus divers, où un mariage sur deux se solde par un divorce, où les familles recomposées sont de plus en plus nombreuses. Au 21ème siècle, il est temps de considérer les femmes comme des citoyennes à part entière dans tous les domaines. La déclaration de couple rend la femme mariée dépendante. La déclaration individuelle la rendrait indépendante et son salaire serait valorisé. Le 10 mars, le Conseil national l’a acceptée à une courte majorité, un signe positif. Mais les Etats se montreront probablement plus réactionnaires.

L’imposition individuelle s’inscrit dans un ensemble de mesures qui devraient être prises par le politique, afin de permettre aux femmes de ne pas quitter leur travail ou de se réinsérer plus facilement après un congé destiné à s’occuper des enfants.

Il faudrait d’abord accorder un congé parental, comme l’ont fait tous les pays évolués. Malheureusement, l’initiative parlementaire, pourtant lancée en mars 2014 par le conseiller national PDC Martin Candinas, qui aurait été financé par les allocations perte de gain durant une quinzaine de jours, a été enterrée par la Commission de la sécurité sociale en janvier 2016… La Suisse est toujours aussi lente ! Il est vrai qu’il a fallu attendre 2004 pour que l’assurance maternité soit votée par le peuple.

Evidemment, des mesures coercitives devraient être prises contre les employeurs qui n’accordent pas un salaire égal aux femmes. Cette injustice est au moins aussi criante que celle qui frappe les couples mariés devant l’impôt. Cela fait des décennies qu’elle est dénoncée et que rien ne se passe.

Afin de faciliter le travail des femmes, il faudrait aussi multiplier les crèches, les structures de garde des enfants, et les rendre financièrement accessibles aux salaires modestes.

L’égalité signifie aussi que les hommes prennent leur part dans les tâches ménagères et familiales. Les femmes leur consacrent en moyenne 50 heures par semaine, soit deux fois plus que les hommes. Selon le professeur René Levy (UNIL), il y a peu de pays où le temps partiel est autant féminisé qu’en Suisse, ce qui désavantage encore les femmes. Il faudrait inciter les employeurs à accorder des temps partiels aux hommes, afin de faciliter une meilleure répartition des tâches.

Il semble donc que la représentation de la femme au foyer, modèle bourgeois du 19ème siècle, perdure dans notre bonne vieille Suisse. Vers les années 50, la société cantonnait les femmes à la maison, elles s’arrêtaient de travailler dès qu’elles se mariaient. En 1970, les femmes au foyer représentaient encore une large majorité: 3 femmes sur 4. Aujourd’hui, la proportion n’est que de 27%, ce qui est encore trop à mes yeux. En effet, j’estime que tout-e adulte devrait gagner sa vie, afin d’être financièrement indépendant-e, donc indépendant-e tout court.