«Les différentes autorités se renvoient constamment la balle»

nucléaire • Quels enjeux pour la sortie du nucléaire après que les Chambres fédérales ont décidé de renoncer à limiter la durée de vie des centrales? Rencontre avec Ilias Panchard, de l’association «Sortir du nucléaire».

Le Parlement a décidé de ne pas limiter la durée de vie des centrales nucléaires en Suisse. L’après Fukushima c’est un lointain souvenir?

Ilias Panchard Pour une majorité de notre parlement, oui très clairement. Les discours post-Fukushima ont été oubliés. La décision de sortie du nucléaire qui avait alors été prise peut s’expliquer en partie par la présence de femmes courageuses et décidées au Conseil fédéral. Par contre, les souvenirs de Fukushima et de Tchernobyl, même 30 ans après, sont encore vifs parmi nos concitoyens. L’incompréhension et la colère règnent lorsqu’on leur explique qu’aucune centrale n’a été fermée depuis 2011, pas même la vieille casserole de Beznau, construite en 1969.

Après le Conseil national, le Conseil des Etats a dit non à l’initiative des Verts «Sortir du nucléaire», qui demande que les centrales soient débranchées après 45 ans d’activité. Comment analysez-vous ce choix?

Ce n’est pas une grande surprise. Ce choix est pour moi purement idéologique. Il faudra bien fermer les centrales. Fixer une date de fermeture permet aux exploitants d’anticiper au mieux cette issue, d’autant plus que le démantèlement demande des investissements importants et ne s’improvise pas. Le Parlement reporte lâchement la responsabilité sur les prochaines générations politiques.

Cette initiative sera soumise en votation populaire en automne. Pensez-vous que le peuple sera plus sage?

Les sondages, cinq ans après l’accident nucléaire de Fukushima, prouvent que la population est largement opposée au nucléaire. 70% sont pour une fermeture des centrales. La difficulté principale, nous le voyons sur le terrain et les réseaux sociaux, est que bon nombre de citoyens pensent à tort qu’on a déjà entamé des démarches pour la sortie du nucléaire et fermé plusieurs centrales. L’enjeu sera d’expliquer que celles-ci tournent encore à plein régime, aux dépens de la sécurité de la population.

Le nucléaire a encore un bel avenir devant lui?

Clairement pas, il est sur le déclin. Au niveau mondial, la tendance est à la baisse. Les investissements financiers nécessaires sont tels que peu de pays ont les moyens de s’engager sur cette voie. Malgré les effets d’annonce, actuellement, hormis les centrales prévues par la Chine, la plupart des pays investissent en priorité dans les énergies renouvelables, qui sont clairement concurrentielles. La Suisse et son parc nucléaire, le plus vieux au monde, se classent toujours dans le top dix des pays nucléarisés, en produisant 40% de son électricité par ce biais. Ceci alors que le potentiel d’économies d’énergie et de développement des renouvelables équivaut à… deux fois la production nucléaire!

Les partis de gauche, les Verts en tête, alliés à différentes associations comme sortir du nucléaire, mettent souvent en avant les risques d’accidents. Ne sont-ils pas trop alarmistes?

Il faut savoir que les groupes énergétiques AXPO ou Alpiq, qui exploitent les centrales, ne donnent pas accès à toutes leurs données. Dans le cas de la centrale de Beznau, un rapport sur les faiblesses de la cuve du réacteur, qui fait état de plus de mille fissures, n’est accessible qu’en partie. Sur 1000 pages de rapport, seules une cinquantaine peut être consultée, alors qu’il en va de la sécurité de la population face à la plus vieille centrale en activité du monde. Par ailleurs, le politique ne suit même plus les recommandations de l’inspection fédérale des centrales nucléaire (IFSN), son organe chargé de la sécurité nucléaire, qui pourtant n’est pas très critique ni indépendant. L’IFSN recommandait fin 2015 que l’exploitant d’une centrale de plus de 40 ans doive soumettre un rapport complet sur son état. Cette exigence a été balayée par la majorité du parlement. c’est un scandale! Soyons clairs, aujourd’hui tous les experts, et il y a quelques jours encore le président de l’autorité de sécurité nucléaire française, s’accordent à dire que le risque d’accident majeur en Europe est important.

La ville et le canton de Genève ont porté plainte contre X concernant la centrale du Bugey en France voisine. Là aussi, il y a des risques clairs?

Bugey a été mise en service à la fin des années 1970 et aujourd’hui on y voit plusieurs problèmes. Des travaux de réparation qui ne sont pas assez suivis, un petit incendie, la pollution des eaux aux alentours, sans compter les risques sismiques. Mais le plus gros danger serait une inondation. Plusieurs barrages en amont pourraient céder suite à un tremblement de terre. Un tel cas de figure plongerait la centrale sous plusieurs mètres d’eau. Si un accident grave survient, on estime que la zone située entre 80 et 100 kilomètres autour de la centrale devrait être évacuée. Genève, dont le canton compte 700’000 citoyens, ne se situe qu’à 70 kilomètres du Bugey. La ville et le canton ont tenté un dialogue avec la France et les exploitants, sans réponse. C’est pourquoi elle a déposé plainte pénale auprès du Tribunal de grande instance de Paris.

Comme le Parlement a renoncé à fixer une limite, à l’avenir, seule l’IFSN (inspection fédérale des centrales nucléaires) pourra décider de prolonger ou non la durée de vie d’une centrale, est-ce une bonne idée?

On touche au cœur du problème. Qui est responsable des centrales et en cas de catastrophe? Les différentes autorités se renvoient constamment la balle, entre le Conseil fédéral, le Parlement, les exploitants (Alpiq, Axpo…) et l’IFSN. Les exploitants soutiennent l’IFSN, se dédouanant ainsi de toute responsabilité. Mais comme l’IFSN est pro-nucléaire, il lui est difficile de décider de la fermeture d’une centrale. Selon nous, il devrait revenir au Conseil fédéral de fixer une date butoir pour chaque exploitation. Notre initiative propose une durée d’exploitation de 45 ans maximum.

Quel est le poids du lobby pro-nucléaire à Berne?

Parmi les membres de la commission de l’énergie, la majorité est clairement pro-nucléaire et certains sont plus ou moins liés à des groupes comme Alpiq. Ce lobby se heurte maintenant au fait que les énergies renouvelables sont rentables et représentent l’avenir. Cela bouscule leur idéologie, mais l’ère du nucléaire touche à sa fin.

Dans une récente interview Christoph Blocher proposait que le nucléaire soit subventionné par l’Etat, qu’en pensez-vous?

Après avoir gagné des millions, les exploitants veulent que la collectivité, donc les citoyens, assument les coûts de démantèlement et de gestion des déchets. Cette proposition illustre le culot des pro-nucléaires. Il y a aujourd’hui plus de 30’000 projets dans le domaine du renouvelable qui ne sont pas soutenus. Développer ces projets et investir dans les économies d’énergie permettrait de remplacer le nucléaire. Ces projets-là doivent être soutenus par l’État.

Concrètement, quelles sont les alternatives au nucléaire?

Les chiffres des experts montrent que les économies d’énergie qui pourraient potentiellement être obtenues via une meilleure gestion des appareils en veille, multiprises, etc., permettraient de remplacer l’entier du nucléaire. Ces mêmes experts affirment que le renouvelable pourrait lui aussi largement remplacer le nucléaire. Par exemple, Genève, qui de longue date est un canton antinucléaire, n’importe plus d’énergies fossiles depuis 2006 et annonce pour 2017 vouloir utiliser 100% de renouvelable. Lausanne est elle aussi quasi à 100% de renouvelable. Ces exemples montrent que la transition énergétique est d’ores et déjà une réalité là où il y a une volonté politique. Il faut maintenant tourner la page du nucléaire pour assurer pleinement cette transition

Manifestation nationale antinucléaire le 19 juin dans la région de Beznau. Plus d’informations sur http://www.sortirdunucleaire.ch