RIE III: un bateau bien surchargé

fiscalité • Du 16 au 18 mars, la troisième réforme de l’imposition des entreprises a été discutée au Conseil national. Le projet adopté va encore plus loin dans les cadeaux aux multinationales que celui qui avait été accepté par le Conseil des Etats en décembre 2015.

Ne surchargez pas le bateau, j’aimerais vous en avertir». C’est par ces mots que le Conseiller fédéral Ueli Maurer s’est adressé aux Conseillers nationaux le 16 mars dernier. Mais la majorité bourgeoise ne s’est pas laissée impressionner par l’avertissement du ministre des finances. Au contraire, le Conseil national a accepté, dans le cadre de la troisième révision de l’imposition des entreprises (RIE III), d’introduire de nouveaux privilèges fiscaux pour les entreprises. Il va même beaucoup plus loin que ce que proposait le Conseil des États en décembre 2015. En effet, le projet RIE III contient désormais une «taxe au tonnage», dont profiteront les compagnies de fret maritime actives dans le commerce des matières premières, très présentes à Genève notamment. Il s’agit d’une sorte de forfait fiscal: les compagnies de navigation paient annuellement une taxe en fonction de la capacité de charge de leurs bateaux, et non de leur bénéfice. Même la Neue Zürcher Zeitung (NZZ), journal bourgeois s’il en est, écrit à ce sujet que «la construction est farfelue au niveau de la logique fiscale et s’avère douteuse sur le plan du droit constitutionnel». Par ailleurs, la déduction des intérêts notionnels (impôt sur le bénéfice corrigé des intérêts) fait à nouveau partie du paquet RIE III, alors que le Conseil des Etats l’avait rejetée, entre autres parce qu’elle engendrerait d’importantes pertes fiscales pour les cantons. Ce petit cadeau coûtera plus de 250 millions à la Confédération et 344 millions aux cantons. Enfin, les multinationales ont de quoi se réjouir: déductions fiscales liées aux produits des brevets (patent box) et déductions des dépenses de recherche et développement ne seront pas limitées, contrairement à ce que souhaitait le Conseil des États.

Des pertes mal évaluées en 2008

Rappelons qu’en 2008, lors de la votation sur la deuxième réforme de l’imposition des entreprises (RIE II), le Conseil fédéral estimait les pertes fiscales à hauteur de 80 millions de francs par année, alors que trois ans plus tard, il était forcé d’avouer que la Confédération, les cantons et les communes devaient s’attendre à des baisses de plus de sept milliards de francs dans les dix prochaines années! Pour ce qui est de RIE III, le Conseil fédéral estime les pertes fiscales liées au projet à 1.22 milliards de francs pour la Confédération. A cela, il faudra ajouter les pertes massives au niveau des cantons et des communes, estimées à plusieurs milliards. Quand aux pertes qui seront causées par les nouvelles mesures adoptées par le Conseil national, elles n’ont pas encore été évaluées! N’oublions pas que selon l’orthodoxie budgétaire libérale pratiquée par nos autorités, toute baisse des recettes doit être compensée par une baisse des dépenses. La Confédération, les cantons et les communes seront donc obligés de procéder à des coupes, qui se feront au détriment de la population et mettront en danger des milliers d’emplois liés directement ou indirectement au domaine public. Le projet RIE III retourne maintenant au Conseil des États pour l’élimination des divergences. Vu les rapports de forces, il est probable qu’il soit adopté lors de la session d’été qui se termine le 18 juin 2016. Un référendum est plus que probable.