«Le meilleur projet pour les anticapitalistes»

Courrier des lecteurs • Membre du Réseau mondial du revenu de base-Suisse, Julien Dubouchet défend le RBI comme instrument démocratique de redistribution de la richesse produite.

Au «dilemme pour la gauche», évoqué en une de Gauchebdo du 15 avril, et à la «guerre des gauches», qui lui faisait écho quelques jours plus tard dans le Temps, il faut apporter quelques éléments d’explications, et tenter de séparer ce qu’il y a d’artificiel et de fondamental dans les divergences exprimées au sein de cette «grande famille». En préambule, il s’agit déjà de rappeler que nous est soumise le 5 juin une variante «forte» du RBI, que l’on peut qualifier de revenu d’existence, ce qui en fait une version «de gauche» au regard du débat qui avait conduit André Gorz, et d’autres, à distinguer entre allocations universelles de gauche et de droite. Pour commencer par les fausses querelles, citons l’accusation aussi courante qu’erronée qui fait du RBI une idée néolibérale, et sa preuve la plus souvent avancée: Milton Friedman (Chicago boy en chef) était pour. Ce dernier était en réalité en faveur d’un impôt négatif et n’entendait pas du tout, bien au contraire, permettre aux individus de se soustraire au marché du travail. D’ailleurs, à suivre ce genre d’étiquetage par ralliement, il faudrait en conclure que le RBI est clairement de gauche puisqu’à ce jour, les soutiens à droite ne sont pas légion, pour ne pas dire totalement inexistants (comme au sein de la majorité bourgeoise du parlement) – et il en va de même au sein de la population. Pour en venir à l’enjeu véritable, il faut nécessairement prendre un peu de recul historique et aller puiser dans les différentes traditions du socialisme. Car ce que remet en question le RBI, c’est le travaillisme et la centralité du rapport salarial comme figure hégémonique de la valorisation du travail, ce dernier étant conçu comme un devoir autant qu’un droit. Cette vision de libération «dans», voire «par», le travail plutôt que «du» travail, au moyen du développement conjoint du droit du travail et de la sécurité sociale professionnelle, est à rapprocher de la stratégie de la social-démocratie européenne, que l’on peut qualifier d’accompagnement du capitalisme. A l’abolition du salariat est préférée alors sa domestication, à la socialisation des moyens de production, la cogestion de l’économie ainsi qu’un partage qui se veut équitable de la rémunération, entre capital et travail, des facteurs de production.

Certains continuent à s’accrocher désespérément au compromis fordiste

S’il n’y a pas de doute que cette stratégie a porté d’importants fruits à la sortie de la 2ème guerre mondiale, il ne faudrait pas oublier que ce fut au prix d’une croissance exceptionnelle, basée de surcroît sur la destruction préalable de l’Europe, une consommation insoutenable des ressources naturelles et l’exploitation impérialiste du reste du monde – et l’existence du «péril rouge» à l’est. Malgré le caractère faustien de ce que l’on qualifie habituellement de «compromis fordiste» (renonciation à la prise de pouvoir contre avantages sonnants et trébuchants), et surtout le fait qu’il ne soit plus honoré par le Capital depuis près de 40 ans, certains camarades continuent de s’y accrocher désespérément, brûlant des cierges à la croissance et aux emplois. Quant à ceux qui continuent de voir la classe ouvrière comme l’agent historique de la libération du genre humain, pour ne pas parler de dictature du prolétariat, et condamnent le RBI pour n’être pas explicitement anticapitaliste, on ne peut que leur donner raison sur ce dernier point, tout en considérant que les potentialités de subversion du capitalisme par le RBI ont plus de chances de tailler des croupières à ce dernier que toute autre stratégie «frontale», qui fait plus de mal à la tête qu’au mur contre lequel on la cogne. En procédant à une démocratique redistribution de la richesse produite socialement et qui permet à chacun de se soustraire à la tyrannie du mode d’existence capitaliste marchand, le RBI est donc aujourd’hui clairement le meilleur projet pour la gauche anticapitaliste, libertaire et non-productiviste