Carl Orff et le national-socialisme

Comment continuer à composer sous le régime hitlérien et la férule de Goebbels, Ministre du Reich à l’Education du peuple et à la Propagande, de 1993 à 1945?

Pour sa défense, Carl Orff (1895-1982) réaffirma périodiquement dès 1945 et la chute d’Hitler que son œuvre, et singulièrement la cantate scénique Carmina Burana, fut interdite par les nazis alors qu’elle lui donna une renommée mondiale, voyant aussi sa célèbre complainte, O Fortuna, mettant en scène une déesse de la mythologie romaine emblématisant la chance, inonder le cinéma, dont Excalibur signé John Boorman. La création de l’opus en 1937 à Francfort adoubée par le public ainsi que l’attitude politique de Carl Orff restent l’objet d’âpres controverses. Auteur de Huit portraits de compositeurs sous le nazisme, l’historien Michael H. Kater souligne que ce natif de Munich avait «comme patron Wolfgang Stumme», qui dirigeait toute l’éducation musicale des Jeunesses hitlériennes. Admirateur du «dramaturge marxiste» Bertolt Brecht, Orff est-il devenu sous le IIIe Reich, un collaborateur obligé du national-socialisme, dont la musique serait «symptomatique de l’idéologie nazie» ou un créateur «malmené» par le pouvoir? Selon Kater, l’homme ne fut jamais membre du parti nazi NSDAP et abhorrait tant «la vulgarité» que la «banalité» des nazis. Néanmoins, il sut rester en contact avec plusieurs rouages clés de l’administration liée au régime totalitaire qui l’aidèrent à asseoir son succès dans la «nouvelle Allemagne». Pouvait-il en être autrement sans connaître la disgrâce, l’exil (intérieur ou extérieur), l’oubli ou la mort?

Orff a profité des avantages offerts par le régime

Au sein de son Carmina Burana, harmonies et rythmes exotiques fort éloignés de la tradition postromantique défendue par les nazis, texte mêlant haut et moyen allemand, français médiéval et latin, «langage hybride explicitement sexuel, voire pornographique» firent que des oppositions se manifestèrent au sein des nazis d’après Kater. Mais l’œuvre connu une fortune publique foudroyante en Allemagne et en Autriche devenant «une attraction permanente» après le début du second conflit mondial sous la direction entre autres de Karl Böhm et Herbert von Karajan. Et l’historien d’affirmer: «Orff profita des divers avantages et privilèges que le régime avait à lui offrir après que les succès des Carmina Burana avaient fait de lui une sorte d’idole de l’establishment culturel.» Dans son texte introductif, le programme édité par le Grand Théâtre qui accompagne cette création notamment chorégraphique pour les 22 danseurs de son corps de Ballet, on lit que Carmina Burana est une des très rares œuvres allemandes issue de l’ère du nazisme à conserver une grande popularité grâce à son emploi dans les films et la publicité.» Avant de conclure: «La roue tourne et la Fortune est comme la lune, tantôt croissante, tantôt décroissante. Est-ce l’expression de l’espoir que la fugacité s’applique également à la barbarie et à la tyrannie?» Pour mettre en lumière la bureaucratie nazie liée tant à l’art et la culture, qu’à «la barbarie et à la tyrannie» avant, pendant et juste après la Deuxième Guerre mondiale, l’ouvrage de Michael H. Kater s’avère plus que jamais une étude fort instructive.