Vers la fin de la gratuité des bibliothèques?

Suisse • Dans le cadre du projet de modernisation de la loi sur le droit d’auteur, la possibilité d’une taxe sur le prêt du livre crée la discorde entre les défenseurs des auteurs et les bibliothèques.

Les bibliothèques craignent de devoir passer à la caisse. Ici, la bibliothèque municipale de Genève.

Depuis 2012 par la voix de Simonetta Sommaruga, le Conseil fédéral s’est fixé comme objectif de moderniser la loi sur le droit d’auteur et de l’adapter, pour être en phase avec les dernières technologies. A cet effet, plusieurs consultations et groupes de travail avec les divers milieux concernés se sont déroulés. Une série de mesures ont été évoquées, comme lutter contre le piratage et téléchargement illégal sur internet. L’une d’entre elle est très critiquée: le droit de prêt, qui consiste à introduire une rémunération pour les prêts d’œuvres littéraires ou support audio-vidéo dans les bibliothèques. Cette idée de droit de prêt n’est pas nouvelle, elle est défendue depuis de nombreuses années par les associations de défense d’auteurs et des droits d’auteur.

Réparer une injustice

Les partisans, telle que l’Association suisse de auteures et auteurs (ADS), rappellent qu’actuellement, les auteurs ne perçoivent aucun droit d’auteur sur les emprunts, notamment en bibliothèque. Une incohérence qu’ils déplorent, arguant que depuis 1992 en Europe, 23 pays appliquent le droit de prêt. La mise en place de cette loi diffère cependant entre chaque pays. Certains, par exemple, ont exempté les écoles et universités, mais tous ont mis en place un financement public, à l’exception des Pays-Bas où le montant est financé par les usagers. Les adeptes d’un droit de prêt demandent au Conseil fédéral de combler une lacune en reversant des droits d’auteur pour tout emprunt. Ils rappellent «qu’une œuvre prêtée est lue par beaucoup plus de gens que pour une œuvre achetée», mais précisent toutefois clairement qu’ils ne souhaitent en aucun cas que les lecteurs doivent prendre en charge les frais ou que les bibliothèques soient contraintes de sabrer dans leur budget. L’investissement doit être pris en charge par les pouvoirs publics. Dans son message, le Conseil fédéral, qui soutient la proposition, déclare que «la Suisse a opté pour un système d’économie de marché en refusant le projet de loi sur la réglementation du prix du livre en 2011, par conséquent il y a une baisse du prix du livre qui contribue à détériorer les conditions économiques des auteurs».

Opposition très ferme des bibliothèques

Aujourd’hui les bibliothèques, dans leur quasi-totalité, offrent à leurs lecteurs un service de prêt entièrement gratuit. Or, l’Association suisse des bibliothèques (CLP) émet des critiques et prévient: «Il serait bien naïf de croire que cette nouvelle taxe sera prise en charge par la confédération, les cantons et les communes. Ce sont les bibliothèques qui devront passer à la caisse.» D’autant que le Conseil fédéral n’a pas clairement défini, dans son projet, le montant de la taxe. Bibliothèque Information Suisse (BIS), association qui défend les bibliothèques suisses, évoque le chiffre de 36 centimes par livre, se calquant sur le taux d’imposition déjà appliqué pour la location. Si la Ville de Lausanne, qui en 2014 a vu plus de 899’225 prêts dans ses bibliothèques municipales, devait verser 36 centimes pour chaque œuvre prêtée, la facture représenterait un montant de près de 324’000 francs. A une époque où les budgets d’austérité sont en vogue, il semble peu probable que les pouvoirs publics prennent en charge ces dépenses supplémentaires. Les bibliothèques mettent en garde en évoquant la réduction des horaires d’ouverture ou du budget pour l’achat de nouveaux livres, et certaines évoquent même le possible report des charges sur les lecteurs, avec un abonnement annuel. Cela se ferait sur le dos des plus pauvres, avec le risque de tirer la culture vers le bas. A noter que l’Union des villes suisses ainsi que plusieurs cantons dont Genève, Vaud et Neuchâtel, s’opposent également au projet.