Dilma Rousseff ou le machisme dans toute sa splendeur

La chronique féministe • Le Brésil est un immense pays, de 205 millions d’habitants, qui occupe la moitié de l’Amérique du Sud, le 5e plus grand de la planète, et la 7ème puissance économique. Il fait partie des BRICS, les 5 nations qui présentent le potentiel de devenir un jour une superpuissance. Mais les inégalités sociales et économiques sont parmi les plus élevées du monde.

Après la Deuxième guerre mondiale, le Brésil connaît une vingtaine d’années de relative démocratie, mais ne décolle pas économiquement. En 1960, les institutions fédérales, qui n’arrivaient pas à choisir entre Rio de Janeiro et São Paulo, s’installent à Brasilia, construite en moins de 3 ans. C’est le début des grands chantiers. Mais le pays est miné par des conflits d’intérêts entre les régions. La sécurité intérieure, l’armée ne sont pas encore fidélisées au régime républicain. A ce contexte s’ajoute la corruption, ce qui mettra en péril la stabilité des institutions.

A partir de 1964, le Brésil connut, comme d’autres pays d’Amérique latine, une dictature militaire de droite pendant 20 ans. C’est finalement la crise financière, qui mine la plupart des pays d’Amérique du Sud, le développement de la pauvreté, la ruineuse corruption des militaires et les mouvements syndicaux qui feront perdre les derniers soutiens économiques du régime militaire. En 1985, Tancredo Neves fut élu à la présidence, mais décéda avant son entrée en fonction, et le vice-président José Sarney devint président. La démocratie s’installa dans un contexte économique et financier difficile. Le Congrès national établit une nouvelle constitution le 5 octobre 1988.

Le 27 octobre 2002, l’ancien syndicaliste Luiz Inacio Lula da Silva (dit Lula) remporta l’élection présidentielle et fut réélu le 28 octobre 2006. Il est le premier président du Brésil issu du Parti des travailleurs. Le pays sort du marasme économique, accède au statut de puissance émergente, grâce au développement accordé à la classe moyenne, qui soutient massivement les réformes démocratiques du président. Lula crée aussi un grand marché intérieur, qui attire les capitaux étrangers et les industries d’exportation, grâce à la confiance retrouvée des banques et à la stabilisation de la monnaie. En réussissant, en septembre 2010, la plus grande augmentation de capital de l’histoire, le géant pétrolier Petrobras devient le symbole de cette forte croissance.

Du même parti, Dilma Rousseff, première femme présidente du Brésil, est élue le 31 octobre 2010, réélue le 26 octobre 2014. Elle a moins de charisme que son mentor mais surtout, elle arrive au pouvoir quand le Brésil subit une récession économique et qu’éclate le scandale des corruptions liées à l’entreprise Petrobras. Pour tenter de relancer l’investissement, Dilma Rousseff accorde de gros avantages aux entreprises, dont des exonérations fiscales, elle décrète aussi une baisse des tarifs de l’électricité. Ces mesures n’ont pas réussi à relancer l’économie mais ont creusé le déficit. Concernant le système de corruption, la présidente n’a pas été citée parmi les principaux coupables par le procureur général de la République et n’aurait pas bénéficié directement de cet argent. Mais elle a été ministre de l’Energie et présidente du conseil d’administration de Petrobras, les Brésiliens pensent qu’elle ne pouvait pas ne pas savoir. Ils la jugent donc responsable, même si elle n’est pas directement coupable.

En décembre 2015, le président de la chambre des députés, Eduardo Cunha, lance une procédure de destitution contre Dilma Rousseff, son ancienne alliée. Il l’accuse de pédalage budgétaire, une pratique courante destinée à masquer la mauvaise santé des comptes de l’Etat avant les élections, en faisant des emprunts. Eduardo Cunha aurait voulu se venger, car le parti de Dilma Rousseff avait refusé de le soutenir quand il fut accusé de corruption et de blanchiment dans le scandale Petrobras.

La présidente commet alors une maladresse. Comme l’enquête se rapproche de Lula, elle l’invite à rejoindre le gouvernement. Officiellement, pour qu’il l’aide à sortir le pays de la crise, mais en réalité, pour lui permettre d’échapper à d’éventuelles poursuites. Cette décision provoque de nouvelles manifestations. En mars 2016, les députés du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), le principal allié de Dilma Rousseff au gouvernement, démissionnent pour sauvegarder leur réputation. La présidente est devenue extrêmement impopulaire. Le 17 avril, plus des deux tiers des députés de la chambre basse votent sa destitution. C’est le vice-président et président du PMDB, Michel Temer, qui a pris le pouvoir. Mais lui est cité directement dans le scandale Petrobras, ainsi qu’une partie de ses ministres.

Il est connu qu’en cas de difficultés, on cherche un bouc émissaire. En l’occurrence, la présidentE. On ne pardonne rien aux femmes qui font de la politique, surtout quand elles occupent de hautes fonctions, voire la plus haute. Souvenez-vous de l’affaire Elisabeth Kopp, première femme élue au Conseil fédéral, poussée à la démission début 89, parce qu’elle avait averti son mari qu’une de ses sociétés était soupçonnée de blanchiment d’argent. 25 ans plus tard, elle pense que si le Conseil fédéral a cédé à la pression publique, le fait qu’elle ait été la première femme de l’exécutif national, très médiatisée, fut un facteur aggravant. Les Conseiller fédéraux mâles n’ayant pas supporté qu’une femme leur vole la vedette. Pensons aussi à l’acharnement qu’on mit, en France, à évincer Edith Cresson, première ministre de François Mitterrand du 15 mai 1991 au 2 avril 1992. C’était la première fois qu’une femme occupait ce poste en France. Auparavant, de 1981 à 1983, sous le gouvernement Mauroy, elle fut ministre de l’Agriculture. Pour saluer sa venue, des pancartes d’agriculteurs fleurissent dans la rue: «On t’espère meilleure au lit qu’au ministère». Plus tard, elle plaisantera: «J’étais bien à l’Agriculture puisque j’avais affaire à des porcs.»

A n’en pas douter, le machisme de nombreux Brésiliens a dû jouer contre la présidente. Jusqu’où peut-il aller? On a fait faire des autocollants représentant Dilma Rousseff, qu’on applique autour du réservoir d’essence des voitures, le trou à la hauteur du bas-ventre. Ainsi, les affreux machos qui font le plein doivent jouir en lui enfonçant le tuyau dans le vagin! Du côté des USA, si Hillary Clinton affronte Donald Trump, question injures misogynes, on peut déjà s’attendre au pire…