Certains sont trop jeunes pour l’avoir vécu mais beaucoup s’en souviennent très bien. En novembre 1989, la Commission d’enquête parlementaire sur le Département fédéral de justice et police révélait dans un rapport que 900’000 personnes et organisations étaient fichées par la police fédérale. De nombreux réfugiés politiques figuraient sur la liste, tout comme de nombreux militants du Parti suisse du Travail – POP et d’autres partis de gauche ou syndicats.
Au fil des ans, le choc du «scandale des fiches» s’est atténué, au point qu’en 1998, la population et les cantons rejetaient l’initiative «Pour une Suisse sans police fouineuse». Le 1er juillet 1998, la loi fédérale instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (LMSI) entrait en vigueur, offrant pour la première fois au «Service d’analyse et de prévention» (SAP) une base légale. Le 1er janvier 2010, le SAP (intérieur) et le «Service de renseignement stratégique» (SRS – étranger) fusionnaient pour former le service de renseignement de la Confédération (SRC). En 2012, d’après les chiffres officiels, le nombre de personnes fichées était de 60’000.
Chevaux de Troie dans les systèmes informatiques
Actuellement, le SRC dispose de tous les moyens nécessaires pour mener à bien ses missions: enquêter sur les activités terroristes, sur la criminalité organisée et sur les actes préparatoires en vue de tels crimes. Observations dans le domaine public, engagement d’espions à temps plein ou partiel, consultation libre de toute sorte de registres et bases de données: les pouvoirs du renseignement sont déjà bien vastes. Pourtant, à sa session d’automne dernier, le Parlement a adopté une nouvelle loi sur le renseignement, qui les étend encore passablement.
Le SRC devrait ainsi pouvoir surveiller les communications de manière élargie (écoutes téléphoniques, lectures des courriels et des courriers) et observer des faits dans des lieux privés, notamment en posant des micros, y compris dans des logements privés. De plus, il devrait lui être possible de perquisitionner secrètement des systèmes informatiques et d’y installer des chevaux de Troie. En d’autres termes: à l’avenir, les services de renseignement pourraient pénétrer dans la sphère privée des citoyens, et ce, en l’absence de délit suspecté. Et s’il est vrai qu’un juge du Tribunal fédéral administratif devrait donner son approbation à de telles mesures, il ne disposera pour ce faire que de la version donnée par le SRC.
Ne pas oublier le passé
Opposés à ces nouveaux empiétements sur la sphère privée, une «alliance contre l’Etat fouineur» a lancé le référendum et le peuple sera appelé à se prononcer le 25 septembre. Alors que selon le ministre de la défense Guy Parmelin, «il ne s’agira pas d’une surveillance de masse, mais d’opérations ciblées limitées à une dizaine par an», les opposants relèvent au contraire que ni le Conseiller fédéral ni la nouvelle loi ne donne de garanties permettant de confirmer une quelconque limitation du nombre de cas qui pourraient être touchés par ces mesures. Au contraire, nous pourrions tous être potentiellement visés par l’espionnage et la surveillance de l’État.
N’oublions pas le passé. Nous connaissons tous une personne qui a conservé ces dizaines – voire centaines – de fiches, où étaient recensés les petits détails de sa vie quotidienne et politique simplement parce qu’elle était communiste ou syndicaliste. Si la nouvelle loi est acceptée, c’est probablement nous qui montrerons nos fiches à nos petits-enfants, pour autant que celles-ci sortent un jour des systèmes informatiques des services de renseignement.