«L’AVS se porte bien mieux que le 2ème pilier»

Interview • «L’intensité actuelle des débats sur les retraites suscite l’alarmisme et crée une fracture périlleuse entre vieux et jeunes », estime Christiane Jaquet, présidente de l’association de défense des retraité-e-s AVIVO-Suisse, qui défend l’initiative AVSplus, soumise au vote le 25 septembre.

Plus de 20'000 personnes ont défilé à Berne le samedi 10 septembre en faveur de l'initiative AVSplus.

La Suisse se positionnait en 2014 à la 5e place dans le classement des pays de l’OCDE qui connaissent le taux de pauvreté le plus élevé chez les 65 ans et plus. Cela vous surprend-il?

Christiane Jaquet Qui ne serait pas estomaqué par un tel classement concernant l’un des pays les plus riches du monde? Hélas, rien n’est plus vrai: les statistiques les plus optimistes signalent qu’un retraité sur huit est pauvre en Suisse. Non pas au seuil de la pauvreté, mais carrément pauvre.

L’initiative AVS plus est-elle une bonne façon de répondre à cette pauvreté?

C’est un pas dans la bonne direction pour une meilleure répartition des richesses, mais c’est surtout une façon de s’approcher enfin de l’application de la Constitution fédérale qui, à son article 112,  évoque «la couverture des besoins vitaux par l’AVS». Avec les rentes AVS actuelles qui vont de 1175 francs à 2340 francs par mois (3’525 francs pour un couple), on en est bien loin! Il faut savoir que 38% des femmes à la retraite et 19% des hommes n’ont que leur rente AVS et pas du tout de 2ème pilier.

AVSplus propose d’augmenter les rentes AVS de 10%. Les opposants avancent cependant que cette augmentation creuserait le déficit de l’AVS. Qu’en est-il?

Parler de déficit est une blague. Voilà plus de quarante ans que les cotisations AVS n’ont pas augmenté et que l’AVS a versé les rentes sans problème. Le système AVS par répartition collecte les primes sur une année et paie les rentes de l’année suivante. Si le nombre de rentiers augmente, celui des travailleurs aussi: de 4 millions il y a 20 ans, il a passé à 5 millions aujourd’hui. Par ailleurs, les plus riches cotisent beaucoup, alors que les rentes sont plafonnées, contrairement au deuxième pilier. Toutefois, dès 2020, avec ou sans AVSplus, il faudra modifier enfin l’assiette des cotisations. Il serait temps d’assujettir les gains en capitaux à une participation à l’AVS comme d’augmenter modestement les primes. Pour compenser AVSplus, il s’agirait de 0,4% paritairement, soit 20 francs par mois pour un salaire de 5’000 francs.

Les opposants affirment également qu’une augmentation des rentes AVS risquerait de faire perdre à certains retraités le droit aux prestations complémentaires ou à un subside pour leur assurance maladie. Que répondez-vous? Ne va-t-on pas remplacer une caisse par une autre?

L’augmentation mensuelle signifiera pour certains retraités modestes une diminution proportionnelle d’éventuelles aides pour l’assurance maladie. Selon l’OFAS, sur les 330’000 personnes qui reçoivent des prestations complémentaires (PC) en Suisse, 10’000 à 15’000 d’entre elles en seront plus ou moins victimes. Mais l’immense majorité des retraités bénéficiera d’AVSplus. Ajoutons également que dans le calcul des PC, le coût du loyer va être enfin réévalué, ce qui permettra aussi de rétablir un certain équilibre.

Les Chambres fédérales discutent actuellement de la réforme «prévoyance vieillesse 2020» du Conseil fédéral, censée répondre (notamment en augmentant l’âge de la retraite et en diminuant le taux de conversion du 2ème pilier) au problème de financement des rentes d’une population retraitée grandissante par rapport aux jeunes qui les financent. Ce problème n’est-il pas réel?

Le problème est réel, oui, mais concerne essentiellement le 2ème pilier. Ce dernier accumule actuellement un capital de 891 milliards soumis aux fluctuations des rendements et à une gestion coûteuse par des financiers (4 à 5 milliards par an), ce qui le rend plus fragile. La diminution du taux de conversion (pourcentage de l’avoir accumulé qui détermine la rente annuelle pendant la retraite, NDLR) voulue par le Conseil fédéral fera purement baisser les rentes du 2ème pilier, il faut le dire. Malgré cette réalité, c’est l’AVS qui est abreuvée des pires critiques et menaces alors qu’elle a prouvé sa résistance aux crises et aux aléas économiques et démographiques.

En quoi le résultat d’AVS plus pourrait-il avoir un impact sur le traitement de prévoyance 2020 aux chambres?

Un soutien populaire à AVSplus, donc un appui fort au système AVS, ne pourra qu’imposer de stopper le démantèlement du premier pilier. AVSplus est en fait un symbole. Ses 10% d’augmentation sont modestes mais leur portée est immense dans la reconnaissance de la force du lien social voté en 1947. Vouloir mixer premier et deuxième pilier comme le propose le Conseil fédéral ne produira qu’un brouet toxique préfigurant une désintégration progressive de l’AVS et des ravages dans cette assurance sociale solidaire, simple et transparente. N’oublions pas qu’elle protège aussi les orphelins et les veufs ou veuves et participe au financement des moyens auxiliaires comme les appareils auditifs etc.

Même une augmentation de 10% de l’AVS laisserait des rentes très basses. Est-ce suffisant?

Non, bien sûr. L’idéal que nous espérons est le respect de la Constitution, soit la couverture des besoins vitaux par l’AVS. Cela offrirait plus de dignité à tous ceux qui, faute de moyens financiers, doivent aller demander des prestations complémentaires qui sont une aide sociale et non pas une assurance sociale. C’est d’ailleurs si difficile d’aller quémander cette aide que plus d’un quart des personnes qui y ont droit renoncent à la demander. Faire des PC une sorte de quatrième pilier est inacceptable dans un pays riche comme le nôtre. J’ajoute que l’intensité actuelle des débats sur les retraites suscite l’alarmisme et crée une fracture périlleuse entre vieux et jeunes. Au point que certains, comme le PDC, se permettent de comparer les retraités à des cochons qui se gobergent de caviar… Or, on ne peut ignorer les disparités de revenus et de fortune des retraités et surtout l’importance de la participation des retraités au maintien du lien social: garde des petits enfants, aide essentielle à des proches, engagement dans des structures associatives d’entraide et de solidarité sociale utiles à tous les âges de notre société. Ce travail bénévole représente plusieurs milliards d’économies pour notre société.

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