Venir à bout du SIDA. Pour bientôt?

Journée mondiale de lutte contre le Sida • Aujourd’hui, le Sida est-il toujours une menace? A quoi en sont les traitements, pourquoi la Suisse est plus touchée que d’autres pays européens et comment vit-on comme séropositif?

Les personnes affectées par le HIV subissent encore une importante stigmatisation malgré les progrès effectués dans le traitement de la maladie.

Checkpoint, à Lausanne, est un centre de santé sexuelle pour les hommes gays, les hommes qui ont des rapports avec d’autres hommes et les personnes trans. Vanessa Christinet, qui y officie comme médecin responsable, est spécialisée sur la question du VIH. Elle a répondu à nos questions à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le SIDA, le 1er décembre.

Quand on pense au VIH, on se souvient des images des années 80 et du peu de traitements qui existaient à cette époque. Comment la situation a-t-elle évolué au niveau médical?
Vanessa Christinet L’évolution des traitements contre le VIH a été spectaculaire. On est passé d’une absence totale de traitement à des solutions très efficaces, qui donnent une espérance de vie quasi normale. J’ai commencé à travailler dans le domaine à la fin des années 90 au Lesotho. C’était l’hécatombe. 25 % des femmes en consultation prénatale étaient séropositives. Les salles de médecine ressemblaient à des mouroirs. Cette expérience m’a beaucoup marquée. En 2003, j’ai travaillé au Cameroun, où il commençait à y avoir des traitements. Certaines personnes arrivaient à reprendre parfois jusqu’à 20 kilos en quelques mois. En 2009 quand je suis arrivée au HUG (Hôpitaux universitaires genevois), il y avait de bons traitements sans trop d’effets secondaires. Aujourd’hui, ils sont la plupart du temps relativement faciles à prendre. C’est plus l’aspect psychologique lié à l’infection qui reste compliqué.

Une étude effectuée dans les écoles auprès de 1500 jeunes suisses de 14-15 ans en 2012 a démontré que 30% pensaient que le VIH peut se guérir et par conséquent négligeaient le port du préservatif. Comment analyser ce résultat?
Les gens ont moins peur du VIH, si bien que cela n’est plus LA priorité de santé publique. Du temps de mon adolescence, dans les années 90, nous étions bassinés avec le VIH. On se souvient de la BD Jo, du film Philadelphia. Des images terribles. C’était très menaçant. Plus rien de tel ne marque les esprits aujourd’hui. Cela s’est estompé et c’est normal. Mais au lieu de parler de la réalité de ce qu’est le VIH aujourd’hui, on a juste choisi de ne plus en parler, du coup les gens se font leur propre idée basée sur des images plus forcément actuelles. L’éducation sexuelle à l’école aborde ces thématiques mais le temps disponible n’est souvent pas suffisant.

Ces questions de prévention du VIH ou d’infections sexuellement transmissibles sont-elles suffisamment entendues au niveau politique?
La situation est relativement bonne dans le canton de Vaud, même s’il est toujours possible de faire encore mieux, notamment au niveau de l’éducation sexuelle, de l’information au grand public, aux groupes particulièrement exposés et aux jeunes. Là où il y a un énorme problème, c’est concernant les migrants. Au niveau Européen et de l’OMS, il y a une volonté de traiter de la question du VIH chez ces populations, mais en Suisse, l’accès au dépistage et aux soins pose encore parfois de gros problèmes.

A une époque, certaines assurances maladie voire certains politiques semblaient favorables à un non-remboursement des traitements, invoquant le fait que le patient est seul responsable de sa maladie et que cela coûte cher. Comment réagissez-vous à ces affirmations?
Actuellement, la question se pose essentiellement pour le remboursement de la PREP, un traitement nouveau, qui est un traitement préventif pour éviter de contracter l’infection pour des personnes particulièrement exposées au VIH. Il n’est pas remboursé et il y a peu d’espoir qu’il le soit prochainement, alors que l’investissement en vaudrait la peine pour certaines populations à risque. Administrer un traitement préventif, même cher, serait plus économique que de traiter après coup, à vie. Si l’on veut se donner les moyens d’en finir avec le VIH, comme l’OMS le souhaite pour la décennie à venir, sans la PREP, à mon avis on n’y arrivera pas! Mais le débat est très clivant, même au sein des milieux de prévention.

Comment expliquer que la Suisse soit l’un des pays les plus touchés par le VIH en Europe occidentale?

Genève est le canton qui a la plus haute prévalence de VIH. Cela est en grande partie dû à la concentration de personne travaillant dans les organismes internationaux et provenant parfois des groupes à haute prévalence de l’infection. 40% des patients consultant au Checkpoint sont d’origine étrangère. Le fait que la Suisse, et en particulier les grands centres urbains, soient plus touchés peut s’expliquer en partie par l’attractivité du pays.

Quelles sont les personnes les plus à risques?

D’une façon générale, les personnes considérées comme plus vulnérables au VIH sont les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, les migrants notamment d’Afrique subsaharienne, les utilisateurs de drogue par voie intraveineuse et les travailleuses du sexe. Concernant les cas d’infection VIH chez les hommes on constate une proportion d’hétérosexuels plus importante chez les plus de 50 ans. On peut penser qu’il y a moins de conscience du risque chez les plus de 50 ans. Chez les homosexuels en revanche, les jeunes sont proportionnellement plus touchés.

Une analyse des questionnaires faits auprès de nos usagers nous a permis de constater que, contrairement à l’imaginaire collectif, le fait de fréquenter des saunas ou de trouver des partenaires sur internet n’est pas associé à une augmentation du risque VIH. On peut en effet avoir beaucoup de partenaires et toujours utiliser le préservatif, ou avoir un seul et unique partenaire qui peut être la source de l’infection sans que l’on en soit conscient. Nous avons par ailleurs constaté que les personnes disant pratiquer le sexe tarifé ont tendance à prendre plus de risques, de même que les personnes disant consommer de l’alcool ou d’autres substances psychotropes. Enfin, nous avons observé une association entre prise de risque et des capacités individuelles de négociations restreintes. Il est donc essentiel de travailler au quotidien sur l’estime de soi pour aider les personnes à affirmer leur demande quant à l’utilisation du préservatif.

Un de vos collègues de Checkpoint Genève, Vincent Jobin, affirmait dans la «TdG» qu’un homosexuel sur six serait séropositif. Il expliquait cela notamment par la vulnérabilité plus élevée de cette population, davantage exposée à la dépression, aux addictions, à la prise de risques. Qu’en pensez-vous?
Ce qu’il dit reflète une certaine réalité que nous voyons au quotidien. A Checkpoint, nous avons un psychologue et un psychiatre ce qui nous permet une prise en charge, entre autres, des troubles anxieux que nous voyons régulièrement.. Cela répond clairement à une demande et un besoin. Mais il y a aussi des personnes qui prennent des risques et qui vont relativement bien. A l’opposé, ce n’est pas parce qu’on est déprimé qu’on va forcément prendre des risques. Cela dit, il a été démontré clairement que l’homophobie a un impact sur la santé et les comportements des personnes concernées. Une étude américaine a notamment mis en évidence que dans les Etats avec une politique très homophobe, les personnes homosexuelles souffraient de problèmes de santé plus importants que dans les Etats avec des politiques plus libérales sur le sujet.