Hamlet, le grand oublié des scènes lyriques

Musique • L’opéra d’Ambroise Thomas avait connu un succès international mais a disparu du répertoire. Des barytons célèbres l’ont remis à l’honneur. Première à Lausanne le 5 février.

Les mélomanes connaissent le nom d’Ambroise Thomas, à défaut de sa musique; les plus avertis citeront Mignon, créé en 1866 et qui a compté mille représentations. Fort de son succès, le compositeur français se lance deux ans plus tard dans le grand opéra lyrique avec un Hamlet qui lui vaut une renommée internationale et la légion d’honneur, reçue des mains même de Napoléon III en 1871. L’œuvre, jouée 384 fois entre 1868 et 1938, n’en disparaîtra pas moins du répertoire, mais des barytons célèbres comme Thomas Hampson, Bo Skovhus ou Simon Keenlyside, la remettent à l’honneur car ils y trouvent un rôle à leur mesure, sans doute un des plus beaux, des plus dramatiques pour leur tessiture. En effet, le rôle éponyme, écrit d’abord pour un ténor, a été transposé par Ambroise Thomas lui-même pour être créé par le célèbre baryton de son époque Jean-Baptiste Faure.

Un compositeur français au goût de son temps
Ambroise Thomas est né à Metz en 1811 et mort à Paris en 1896. Son père est violoniste, sa mère cantatrice. Enfant prodige, il entre en 1827 au Conservatoire de Paris dont il sera plus tard un des professeurs, puis le directeur. Il obtient un premier prix de piano en 1829, d’harmonie en 1830 et le Prix de Rome de composition en 1832. Il a écrit, outre une vingtaine d’opéras, quelques pièces de musique sacrée et diverses partitions symphoniques et instrumentales, cédant, mais avec un génie certain, au goût de son époque, celui du second empire. Musicien de théâtre d’abord, il mérite mieux que l’oubli car bien des pages, surtout dans son Hamlet, sont incontestablement de grands moments d’art lyrique.

La musique d’Ambroise Thomas
Chabrier disait: «Il y a trois sortes de musique: la bonne, la mauvaise, et celle d’Ambroise Thomas.» La boutade est un peu sévère, mais il est vrai que la brillante facilité d’écriture de Thomas s’accommode par moments de trivialité, de grandiloquence, qu’il faut oublier, car Hamlet est incontestablement d’une grande intensité dramatique. Par ailleurs l’œuvre, sans être novatrice, est remarquablement composée.

A noter qu’on doit à Thomas la transition du récitatif parlé en arioso. Son écriture orchestrale met en valeur, avec un métier très sûr, les cordes et les instruments à vents dont, pour la première fois dans la musique classique, le saxophone, avec de splendides solos individualisés selon les scènes; les parties symphoniques, relativement importantes, créent dès l’ouverture des climats prenants, voire pathétiques. Dans cette œuvre, Thomas privilégie les voix graves, sauf pour Ophélie, soprano, qui allie la pureté cristalline à des performances vocales impressionnantes, bouleversante d’émotion et de violence tragique, en particulier dans la scène de folie qui occupe tout un acte, l’apogée de la partition.

Un livret assez libre par rapport à Shakespeare
Le livret de Jules Barbier et Michel Carré s’écarte passablement de la pièce de Shakespeare pour répondre aux conventions du grand opéra français; il centre l’action sur les amours d’Ophélie et de Hamlet, se termine non sur la mort de Hamlet, mais sur son accession au trône de roi du Danemark alors que désespéré, il vient d’apprendre la mort d’Ophélie et, sur l’ordre du spectre qui réapparaît alors, venge enfin son père. «Mon âme est dans la tombe, hélas, et je suis roi». Lorsque l’opéra fut joué à Covent Garden, on remplaça la dernière scène par une fin plus conforme à la tragédie de Shakespeare!

Chaque acte – il y en a cinq – pourrait porter le titre d’un des personnages du drame: le spectre, Claudius l’usurpateur du trône, Gertrude la mère de Hamlet, Ophélie, Hamlet. Quant au côté trivial de certains passages, on ne peut s’empêcher, à les entendre aujourd’hui, d’y trouver un sens parodique, sans doute involontaire, mais qui sied bien à des scènes comme, par exemple, le mariage du traître meurtrier avec la mère de Hamlet.

Une première à Lausanne
Hamlet d’Ambroise Thomas sera donné pour la première fois sur la scène de l’Opéra de Lausanne du 5 au 12 février avec Régis Mengus en Hamlet, Lisette Oropesa, soprano américaine dont ce sera les débuts à Lausanne, en Ophélie. Stella Grigorian chantera Gertrude et Philippe Rouillon sera Claudius. A la direction Fabien Gabel, avec l’OCL et le chœur de l’Opéra de Lausanne, dans une mise en scène de Vincent Boussard. Il s’agit d’une coproduction de l’Opéra National du Rhin et de l’Opéra de Marseille.

Opéra de Lausanne, du 5 au 12 février. Billetterie: 021 315 40 20 ou sur internet www.opera-lausanne.ch