Tir à boulets rouges sur les paradis fiscaux

Salon du livre • A l’occasion de Salon du livre, le philosophe québécois, Alain Deneault a dénoncé les paradis fiscaux lors d’une intervention sur le stand du Québec, invité d’honneur de l’édition.

«L’évasion fiscale représente un manque à gagner pour les Etats et les citoyens doivent payer plus d’impôts pour toujours moins de services», martèle Alain Deneault.

«La nomination de Jean-Claude Juncker à la tête de la commission européenne? Quel scandale! Premier ministre luxembourgeois pendant 20 ans, il a été au cœur de la faillite de Parmalat, en lien avec la fraude gigantesque de Bernard Madoff. On a là quelqu’un qui a permis la légalisation de la fraude fiscale à grande échelle», explique le philosophe, ancien chercheur au Réseau pour la justice fiscale et auteur de Noir Canada ou de Paradis fiscaux: la filière canadienne. Présentant son plus récent livre Une escroquerie légalisée, Précis sur les «paradis fiscaux», il a tout d’abord rappelé l’importance de cette fraude au niveau mondial.

Au moins 21’000 milliards de dollars seraient ainsi canalisés dans ces différents paradis fiscaux, autant que l’équivalent des économies du Japon et des USA. Chacun de ces territoires qui ont érigé l’absence d’imposition, le laxisme légal et le secret bancaire en règles est spécialisé dans son domaine. Le Canada est un paradis judiciaire et réglementaire pour les sociétés minières. L’Irlande, un paradis fiscal pour les droits de propriété intellectuelle, le Bangladesh permet le travail des enfants et la Suisse reste un paradis pour la gestion de fortune.

Filière des Bermudes et montages irlandais
Pendant de longues années, on a mis en exergue les fraudeurs individuels, les particuliers, ceux qui franchissaient les frontières pour ne pas payer d’impôt sur le territoire national, mais aujourd’hui ce sont surtout les multinationales qui sont devenues les maîtresses de ces stratégies d’évitement fiscal. Avec leurs filiales installées dans les territoires off-shore, elles peuvent réduire massivement leur taux d’imposition à travers des mécanismes comme les «manipulations de prix de transfert». «Cela consiste pour un groupe à céder à sa filiale sise dans un paradis fiscal les droits d’utilisation de sa propre marque et de son logo, entre autres biens, de façon à lui verser des redevances au moment où elle les utilise.

Google a selon toute vraisemblance concentré ainsi près de 10 milliards de dollars en 2011 dans les comptes d’une filiale bermudienne, à la suite d’un montage impliquant des structures en Irlande», écrit Alain Deneault dans son dernier ouvrage. Au passage, il rappelle que seulement 1% du produit de la vente de bananes retourne dans les pays producteurs ou que parmi les principales destinations d’investissement de la Chine, on trouve… les îles Vierges ou la Barbade pour le Canada.

Plus d’impôts pour moins de services
Quelles sont les conséquences de ce modèle économique? «Cela représente un manque à gagner dans le Trésor public et les citoyens de la classe moyenne doivent payer plus d’impôts pour toujours moins de services», vitupère Alain Deneault. «Ceci explique aussi en grande partie les plans d’austérité décidés complaisamment par des gouvernements toujours officiellement en manque de moyens», écrit le Québécois.

Plus fort encore, loin de combattre ces paradis fiscaux, les Etats se mettent, de plus en plus, à suivre le modèle. D’où les baisses massives sur la taxation des bénéfices des entreprises. La Suède, le Danemark et la Finlande ont fait baisser leur taux d’imposition à environ 20%, alors que le ministre de l’économie français, Michel Sapin a annoncé vouloir ramener le taux à 28% pour toutes les entreprises d’ici 2020. Rappelons qu’avec sa troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III), la Suisse a bien montré qu’elle voulait continuer dans cette voie qu’entend aussi suivre, Donald Trump, qui veut faire passer le taux d’imposition de 35% à 15% pour les entreprises etasuniennes.

Gesticulations de l’OCDE
Face à cette situation, Alain Deneault ne se fait guère d’illusion sur l’action de l’OCDE, qui, depuis la crise de 2008, a annoncé vouloir faire le ménage. «L’échange automatique d’informations n’est pas une panacée puisque, entre autres, les ports francs, les coffres bancaires (safety deposit boxes) et d’autres mécanismes de stockage sont exclus du champ de la norme», écrit-il dans son livre. Pour lui, il est nécessaire d’exposer à la lumière du jour ces mécanismes frauduleux. Il insiste sur le rôle des lanceurs d’alerte, celui des médias qui, grâce aux révélations des Luxleaks, Swissleaks ou autres Panama Papers, ont levé un coin du voile. «Les politiques doivent aussi faire de la politique et les Etats mettre sous pression les paradis fiscaux», conclut le conférencier.

Alain Deneault. Une escroquerie légalisée, Précis sur les «paradis fiscaux», 2016, ed. Ecoscociété, Montréal, 123p.