Des groupes d’intérêt de plus en plus influents

Suisse • Le nombre de liens des parlementaires suisses avec des lobbys a plus que doublé de 2000 à 2011. Les élus sont également «recrutés» par les groupes d’intérêts en fonction des commissions où ils siègent, ont constaté des chercheurs des Universités de Lausanne et Genève.

Des chercheurs des Universités de Lausanne et Genève se sont intéressés à l’influence des lobbys au parlement suisse, comme le révélait récemment Le Matin Dimanche. Premier constat, «le nombre moyen de liens d’intérêts par membre du parlement a plus que doublé: de 3,5 en 2000 il est passé de 7,6 en 2011», résume l’un des deux articles scientifiques récemment paru sur le sujet. Une évolution que les chercheurs estiment liée notamment au renforcement de l’importance de la phase parlementaire par rapport à celle de la phase pré parlementaire, qui prévalait auparavant.

Les intérêts économiques bien représentés

Ce sont en particulier les liens avec des groupes d’intérêts qui ont augmenté, alors que ceux avec des entreprises ou des organisations liées à l’Etat (les CFF par exemple) sont restés stables depuis 2000. L’influence de ces groupes d’intérêts est toutefois inégalement répartie. Ainsi, durant la plupart du temps étudié (2000-2011), les liens des membres du parlement avec des groupes économiques (business groups) étaient bien plus nombreux que ceux avec des syndicats, peut-on lire.

L’augmentation la plus forte est observée avec les «groupes d’intérêt public», centrés par exemple sur les thématiques humanitaires, environnementales ou encore animales. «Cette évolution est liée à la création de ce type de groupes depuis les années 70 et plus précisément à leur mobilisation politique et accès au parlement croissants dans les 15 dernières années», analysent les chercheurs. Les groupes d’intérêts dont la présence est la plus forte au parlement de part le nombre de liens avec des parlementaires demeurent toutefois les groupes économiques (business groups). «Ils dominent et sont particulièrement bien connectés aux partis gouvernementaux, avec qui ils partagent des affinités idéologiques», constatent les chercheurs.

Ainsi, «4 des 5 groupes les plus influents partagent certaines caractéristiques: ils représentent des intérêts économiques (business interests) et ont des liens avec les trois principaux partis bourgeois (PLR, UDC et PDC). Enfin, ils représentent différents secteurs économiques importants: l’immobilier (Association suisse des propriétaires), les petites et moyennes entreprises (USAM), l’agriculture (Union suisse des paysans) la production d’énergie (Forum Suisse de l’énergie)». Plus loin dans le classement, en 9e position, on trouve Economiesuisse, et en 15e position l’Union patronale. Du côté des organisations liées à la gauche, on trouve l’Association Transports et Environnement (ATE) en 7e position, l’ASLOCA en 8e position ou encore l’USS en 11e position.

Des liens créés après l’entrée dans les commissions
Les chercheurs constatent également qu’il existe une corrélation entre les liens d’intérêts des parlementaires et les commissions dans lesquelles ils travaillent. Ainsi, un membre de la commission de la santé aura plus facilement des liens avec un groupe d’intérêt lié au domaine de la santé. Mais surtout, l’étude révèle que ces liens se sont créés dans la majorité des cas après l’accès du parlementaire à la commission concernée et indépendamment de son profil, révélant une forme de recrutement stratégique des parlementaires par les groupes d’intérêts. Un constat qui contraste quelque peu avec l’image du parlementaire disposant de connaissances ou d’une spécialisation préalable, qu’il utiliserait ensuite au sein des commissions.

Des rémunérations non déclarées
Ainsi, «les membres du parlement doivent être sérieusement considérés comme des lobbyistes et non seulement des cibles des lobbys», écrivent les chercheurs. La question de savoir s’il existe un risque que les commissions parlementaires se transforment en groupes défenseurs de certains intérêts spécifiques «demanderait des recherches plus approfondies» estiment-ils. Ils soulignent toutefois l’existence d’études montrant que les groupes citoyens qui bénéficient de personnel et de moyens financiers obtiennent un meilleur accès aux commissions parlementaires. Les groupes économiques étant généralement mieux dotés en moyens financiers, ils pourraient donc avoir plus d’impact.

Le lien financier est du reste parfois très direct. Ainsi, Le Matin Dimanche évoque le groupe de réflexion santé du Groupe Mutuel, qui verserait quelque 10’000 francs aux élus qui en font partie pour assister à quatre séances de deux à trois heures, suivies d’un repas. Plusieurs parlementaires interrogés justifient ce type de lien par l’expertise fournie par les groupes d’intérêt. Interrogé par le quotidien 24 Heures, le conseiller aux Etats socialiste Didier Berberat se montre toutefois plus critique: «Cela peut être utile d’être informé, mais il ne faut pas être sous influence. Nous devons signaler nos intérêts (depuis 1985, ndlr) mais rien n’est dit sur le montant de la rémunération. Toutes les demandes qui ont été faites en ce sens ont été refusées au Parlement. Si une entreprise nous verse 100’000 francs par année, on va voter dans son intérêt.» Pour la droite, ce type de rémunération relève cependant de la «sphère privée» (!)

Roy Gava, Frédéric Varone, André Mach, Steven Eichenberger, Julien Christe, Corinne Chao-Blanco, «Interests groups in Parliament: Exploring MPs’ interest affiliations (2000-2011)», Revue Suisse de science politique, octobre 2016

Steven Eichenberger, André Mach, «Formal ties between interest groups and members of parliament: Gaining allies in legislative committees», Interests Groups & Advocacy, mai 2017