La fronde contre Dublin s’amplifie

Suisse • Tribunaux fédéraux, communes, personnalités politiques, ONG, milieux associatifs: les instances qui critiquent la pratique des renvois «Dublin» par la Suisse se multiplient, suite à plusieurs cas problématiques. Un appel lancé à Genève vient d’être relayé dans le canton de Vaud.

Début juin, un père afghan et ses trois filles, dont une de 3 ans, étaient cueillis à 7h au centre de Leysin de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM) et renvoyés vers la Norvège manu militari en vertu des accords de Dublin, alors que la mère et le fils, absents au moment de l’arrivée de la police, restaient en Suisse (voir en page 1). Quelques semaines plus tôt, le Tribunal fédéral avait condamné le canton de Zoug pour avoir détenu séparément une mère et son nourrisson de son mari et placé en foyer les autres enfants de 3, 6 et 8 ans en vue de leur renvoi en Norvège. Une manière de faire que la Cour suprême avait jugé «à la limite d’un traitement inhumain et dégradant en vertu de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH)» (notre édition du 19 mai).

Début juin encore, le Tribunal administratif fédéral invitait le Secrétariat d’Etat aux migrations à mieux évaluer les renvois Dublin effectués vers la Hongrie en raison des conditions d’accueil sur place. Le HCR avait déjà exhorté l’UE à suspendre les transferts vers ce pays en avril. En mars dernier, quatre associations attiraient l’attention à Lausanne sur les renvois «Dublin» de femmes vers l’Italie, enceintes, avec des enfants en bas âge ou alors qu’elles y avaient subi des violences sexuelles et que des avis médicaux contre-indiquaient clairement un renvoi (notre édition du 10 mars). A Genève, le cas des sœurs Musa et de leur frère, renvoyés en Croatie malgré la présence de parenté en Suisse et alors que leur benjamin y restait seul, avait également fait beaucoup de bruit.

En bref, les signaux d’alerte et d’indignation quant à la pratique des renvois «Dublin» (qui consistent à renvoyer les requérants d’asile dans leur premier pays européen de passage) par la Suisse se multiplient, sans que les autorités ne semblent vouloir infléchir leur pratique. Au contraire. Depuis l’automne 2016, la Confédération s’est même réservé, sans états d’âme, le droit de punir financièrement les cantons qui n’exécuteraient pas suffisamment promptement les renvois.

Des décisions prises de façon automatique
Ces pratiques sont contestées de longue date notamment par le Collectif R, dans le canton de Vaud, et par Solidarité Tattes, à Genève, mais elles sont aujourd’hui dénoncées de plus en plus largement. Ainsi, un «appel contre l’application aveugle du règlement Dublin», lancé en janvier dernier à l’initiative de Solidarité Tattes, a été rapidement soutenu par de nombreuses personnalités et communes dont le Conseil administratif de la Ville de Genève, ainsi que par une coalition nationale composée notamment d’Amnesty International, de Solidarité Sans Frontières, de Droit de Rester Neuchâtel et de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR). La semaine dernière, il a également été relayé par plusieurs organisations vaudoises qui annoncent une campagne de récolte de signatures: l’Entraide protestante Suisse (EPER), l’association Appartenances, les Eglise réformée et catholique vaudoises, ainsi que les groupes bénévoles auprès des requérants d’asile dans le Canton.

S’adressant aux autorités fédérales et cantonales, le texte rappelle que «la Suisse est l’un des pays qui applique le plus strictement la procédure Dublin». Un formalisme excessif «qui porte non seulement atteinte à la santé psychique voire physique des personnes, mais conduit également à des violations des droits fondamentaux et des droits de l’enfant». Il dénonce «des drames humains et des vies brisées», notamment à travers des «décisions prises par le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) de façon quasi automatique, sans prendre en compte la vulnérabilité des personnes». «Au nom des Accords de Dublin, des familles sont séparées, des personnes malades sont renvoyées dans des pays où une prise en charge médicale adéquate n’est pas garantie, des enfants sont arrachés de leur classe en milieu d’année, des mères d’enfants en bas âge sont renvoyées vers l’Italie, alors que le père de leur enfant reste en Suisse, ou vice-versa», détaille un communiqué.

Utiliser la clause de souveraineté
L’appel demande surtout que la Suisse fasse «usage sans délai de la clause de souveraineté existante dans le règlement Dublin», soit de la possibilité de décider de façon souveraine de ne pas appliquer ce règlement et de traiter les demandes d’asile en Suisse, en particulier pour les personnes requérantes d’asile vulnérables et/ou ayant déjà un proche dans le pays. Ceci afin d’éviter à la Suisse de «violer les conventions internationales relatives aux droits de l’enfant et aux droits fondamentaux».

www.appeldublin.ch