Trois ans de prison pour être sorti d’une commune?

Asile • Alors que la Constitution fédérale garantit la liberté de mouvement, ce droit fondamental est toujours plus limité pour les personnes dont le statut est instable ou irrégulier.

«Tout être humain a droit à la liberté personnelle, notamment à l’intégrité physique et psychique et à la liberté de mouvement», affirme l’article 10, alinéa 2, de la Constitution fédérale. La liberté de mouvement figure au chapitre des droits fondamentaux, ce qui signifie qu’elle devrait – en théorie – être valable pour tout le monde. Pourtant, depuis des décennies, les autorités fédérales, cantonales et communales développent sans cesse de nouvelles mesures et pratiques limitant parfois drastiquement cette liberté pour toute une partie de la population: les personnes dont le statut est instable ou irrégulier.

Régime de semi-détention dans les centres fédéraux
Il est aujourd’hui évident que l’Europe n’est pas une terre d’accueil. Les annonces faisant état des nouveaux morts en Méditerranée nous rappellent épisodiquement que seules les routes meurtrières sont ouvertes aux personnes qui viennent chercher refuge dans la forteresse. En revanche, ce que l’on oublie souvent, c’est que ces routes dangereuses ne sont qu’une étape et non pas la fin des problèmes pour les personnes migrantes. Une fois la traversée terminée, surgit la violence quotidienne d’une politique d’asile basée sur le soupçon, la criminalisation, le rejet, l’isolement.

En Suisse, la première étape pour toute personne déposant une demande d’asile est le centre fédéral d’enregistrement et de procédure (CEP). En plus de l’isolement découlant du simple emplacement de certains CEP éloignés de tout, la réglementation restrictive des horaires de sortie (les habitants du centre doivent être rentrés à 17h) est une mesure disproportionnée qui restreint la liberté de mouvement des requérants d’asile. C’est en tout cas ce qui ressort d’un avis de droit réalisé en février dernier par le Centre de compétence pour les droits humains de l’Université de Zurich à la demande de la Commission fédérale contre le racisme (CFR).

De nombreux exemples témoignent de l’absurdité de ces réglementations, à l’image d’un homme sanctionné par une journée de privation de liberté pour être rentré en retard à la caserne des Rochat (VD), alors qu’il était à l’hôpital avec sa femme qui accouchait de leur premier enfant. Avec la restructuration du domaine de l’asile, l’ouverture de nouveaux centres fédéraux très isolés géographiquement et la création des centres de départ et centres pour «récalcitrants», ce régime de semi-détention va encore se renforcer.

Détention administrative et assignations à résidence

Pour le requérant d’asile débouté, la suite du parcours rime avec mesures de contrainte. Forme suprême de privation de liberté, la détention administrative en vue du refoulement a été introduite en 1986 pour une durée maximale de 30 jours, puis n’a cessé de s’allonger pour atteindre une durée de 24 mois jusqu’à ce que l’entrée de la Suisse dans l’Espace Schengen ne force les autorités à la limiter à 18 mois. C’est le cas depuis le 1er janvier 2011. Peu de gens savent qu’en Suisse, certaines personnes peuvent rester plusieurs mois en prison sans avoir commis le moindre délit et sans être passées devant un juge. En 2016, c’était pourtant le cas pour 4,6% des personnes détenues en Suisse. Et le recours à cette mesure va se renforcer au cours des prochaines années, puisque la dernière révision de la loi sur l’asile prévoit de doubler le nombre de places de détention administrative, en particulier à Genève qui deviendra le «hub d’expulsion» de la Suisse romande.

En 1994-1995, d’autres mesures de contrainte se sont ajoutées à la détention administrative: l’assignation à résidence et l’interdiction de pénétrer dans une région déterminée. Depuis l’introduction des sanctions financières (suppressions de subventions) par la Confédération contre les cantons qui ne mettent pas assez de zèle à exécuter les renvois Dublin, plusieurs cantons recourent massivement à ces mesures. Dans le canton de Zurich, les autorités assignent quasi systématiquement les requérants d’asile au territoire d’une commune, les empêchant de se rendre en ville de Zurich où se trouvent la plupart des structures de solidarité. La peine de prison encourue en cas de non-respect de l’assignation peut aller jusqu’à trois ans. Dans le canton de Vaud également, les autorités ont désormais recours aux assignations à résidence, notamment dans le but de briser la résistance du Collectif R contre les renvois Dublin, qui occupe l’église Mon-Gré depuis de nombreux mois. En effet, si les personnes menacées de renvoi ne peuvent plus s’installer au refuge Mon-Gré, le Collectif ne peut plus les protéger.

Une injustice à dénoncer haut et fort
A l’heure actuelle, l’instrumentalisation politique des personnes venant chercher une protection en Suisse fait oublier à certains que les droits fondamentaux garantis par la Constitution sont valables pour tout le monde. Le fait qu’une catégorie de la population soit systématiquement enfermée et réprimée est inacceptable et doit être dénoncé haut et fort. C’est ce que prévoient de faire Solidarité sans frontières et d’autres organisations lors de la journée nationale contre les mesures de contrainte le 2 septembre prochain. Comme le disait Bertolt Brecht dans une phrase devenue le slogan du mouvement zurichois contre les mesures de contrainte: «Quand l’injustice devient loi, la résistance est un devoir».

Plus d’informations sur la journée du 2 septembre à l’adresse www.sosf.ch