Des critiques de gauche de plus en plus présentes

Venezuela • Si une partie de la gauche radicale soutient le chavisme, une autre, sans pour autant se rallier à l’opposition de droite, se montre également critique de l’attitude du gouvernement. Rappel des forces en présence et chronologie des récents événements.

Voir également notre article « Un vote contre la violence« 

Pour qui veut s’informer sur le Venezuela, l’affaire n’est pas facile, tant la lecture des mêmes événements diffère d’un intervenant à l’autre. Dans la presse «main stream», on évoque l’installation d’une dictature réprimant des manifestations pacifiques, alors qu’une partie de la gauche présente les événements de façon inverse, à savoir un gouvernement légitime menacé par une opposition violente, désireuse de le renverser illégalement.

Une opposition trouble
Pour tenter d’y voir clair, il semble utile de s’intéresser au profil de l’opposition, gagnante des élections de 2015: principalement de droite, rassemblée dans la MUD, elle combat de longue date, via des méthodes plus ou moins légitimes, un chavisme qui remet en question ses privilèges. Henrique Capriles, leader de la tendance modérée et Leopoldo Lopez, figure centrale de l’orientation plus radicale, proviennent d’ailleurs tous deux de familles parmi les plus fortunées et puissantes du pays. Le premier est gouverneur du riche Etat de Miranda, alors que le second est ancien maire de Chacao, quartier parmi les plus aisés de Caracas.

Leopoldo Lopez, qui a étudié aux Etats-Unis aux côtés des élites de la planète et admet lui-même «faire partie du 1% des plus privilégiés», a été condamné à 14 ans de prison pour incitation à la violence lors de manifestations en 2014 qui avaient provoqué 43 morts. Alors que la plupart des médias internationaux l’ont présenté comme un prisonnier politique victime d’un régime répressif, certaines voix osent une image plus nuancée. Dans une enquête approfondie de 2015, le prestigieux magazine américain Foreign policy pointe ainsi du doigt la fabrication médiatique de ce personnage comme défenseur de la démocratie, son implication plus ou moins indirecte, ainsi que son entourage proche, dans le coup d’Etat (reconnu comme tel par la majeure partie de la communauté internationale) de 2002 contre Hugo Chavez, bien qu’il s’en soit distancié, ainsi que l’utilisation de la violence par ses partisans en 2014 dans le but de renverser le gouvernement. Henrique Capriles a lui aussi été impliqué dans les manifestations lors du coup d’Etat de 2002, ce qui lui a valu une peine de 4 mois d’emprisonnement.

Si de nombreuses voix de gauche dénoncent cette opposition de droite et ses stratégies, une partie n’approuve pas pour autant les méthodes gouvernementales, pointant du doigt une tendance autoritaire croissante, la corruption, ou une politique extractiviste menée pour faire face à la crise, au détriment des communautés indigènes. Parmi eux, le sociologue Edgardo Lander, figure du mouvement altermondialiste. Récemment, le passage de la procureure générale Luisa Ortega, celle-là même qui avait condamné Leopoldo Lopez à 14 ans de prison, du côté des «chavistes critiques», puis sa destitution et son départ du pays ont également fait grand bruit.

Blocages autour des institutions
Les tensions actuelles débutent en novembre 2015, alors que, sur fond de crise généralisée liée à la chute des prix du pétrole, dont le pays est extrêmement dépendant, d’inflation sans précédent et de pénuries de denrées de base, orchestrées par la droite selon les chavistes, la MUD gagne la majorité qualifiée au parlement vénézuélien. «Ce vote de la population est à comprendre comme un vote sanction dans une période particulièrement difficile», commentait alors Maurice Lemoine, ancien rédacteur en chef du Monde Diplomatique, dans nos colonnes. Celui d’une population à bout de souffle, exprimant sa volonté de changement.

Dès la fin novembre, le tribunal suprême de justice (TSJ) suspend cependant l’investiture de 3 députés en raison d’une fraude supposée lors de leur élection. Sans eux, la MUD perd la majorité qualifiée. Ceux-ci étant tout de même investis en janvier 2016, le TSJ déclare les décisions du parlement «nulles et non avenues». Du côté de l’opposition, qui a d’ores et déjà annoncé sa volonté de renverser le gouvernement par des voies constitutionnelles dans les six mois, la cohabitation semblant inenvisageable, on dénonce un TSJ à la botte de Maduro. Les institutions sont bloquées. Fin mars, afin d’éviter le blocage du pays, selon les chavistes, le TSJ décide de s’arroger les pouvoirs législatifs du parlement. Mais il revient en arrière deux jours plus tard au vu de protestations généralisées jusque dans ses propres rangs, notamment par la procureure générale Luisa Ortega, qui dénonce une «violation de l’ordre constitutionnel».

Critiques de plus en plus nombreuses

Dans le courant 2016, l’opposition récolte également les signatures pour organiser un référendum révocatoire, procédure prévue par la constitution de 1999. Mais pour être valide, celui-ci doit être organisé avant janvier 2017, or, le Conseil national électoral (CNE) décide de repousser le vote jusqu’à nouvel ordre, arguant de l’existence de fraudes dans la récolte de signatures. La procédure n’a jamais pu être menée jusqu’au bout. De même, les élections de gouverneurs, qui auraient dû se tenir en décembre 2016, ont été reportées (prévues maintenant en 2017). Des décisions qui suscitent la critique jusqu’à gauche.

En parallèle, l’opposition de droite lance «une forte offensive contre le gouvernement, réalisant conjointement des mobilisations pacifiques massives dans les villes principales du pays, des activités violentes, la destruction d’installations publiques d’éducation, de santé et de transport, ainsi que des actes terroristes et des opérations menées pas des groupes paramilitaires qui bénéficient d’un appui extérieur», décrit Edgardo Lander dans une tribune publique, dénonçant ces événements aussi bien que la répression menée par Maduro. Il en résulte une escalade de la violence qui se solde par de nombreux morts de part et d’autre. Les tentatives de dialogue échouent.

Une constituante controversée
C’est dans ce contexte troublé que Maduro décide de convoquer une Assemblée constituante. Mais la démarche ne fait pas l’unanimité. Est-ce véritablement par ce moyen que les problèmes traversés par le pays seront résolus? Au niveau plus formel, certains, comme Luisa Ortega, estiment que la population aurait dû être consultée préalablement, comme l’avait fait Chavez pour la constituante de 1999. Les avis juridiques divergent à ce sujet. D’autres, de tous bords, considèrent que le découpage électoral, modifié pour l’occasion, attribue une représentation excessive aux municipalités rurales, plus favorables au chavisme. L’attribution d’une part des sièges à différents secteurs professionnels de la société fait aussi débat. D’autres encore, comme Walter Suter estiment en revanche le processus légitime (voir notre article). La droite décide de boycotter l’élection, qui a finalement lieu, avec une participation de 41,53% selon le CNE, chiffre contesté par l’opposition. Parmi ses premières actions, la constituante, accusée de toutes parts d’usurper les pouvoirs du parlement – ce qu’elle conteste – procédera à la destitution de Luisa Ortega.

Dans une société ultra-polarisée, le chavisme était parvenu à sortir de la pauvreté des milliers de personnes tout en leur donnant accès à la santé, à l’éducation ou encore à la culture, mais aussi à donner des espoirs à la gauche un peu partout dans le monde. Si l’opposition de droite et un contexte international hostile sont à juste titre à pointer du doigt dans la déchéance actuelle de ce projet, les derniers événements ne semblent pas contribuer à renforcer l’assise du gouvernement à gauche.