Berne ne veut pas fâcher les multinationales

Suisse • Le Conseil fédéral ne veut pas contraindre les multinationales basées en Suisse à respecter les droits humains et l’environnement. Il recommande de rejeter l’initiative à ce sujet, sans proposer de contre-projet, se positionnant ainsi à contre-courant des récentes évolutions internationales.

L’initiative vise des entreprises comme Glencore, plusieurs fois critiquée pour ne pas respecter les droits humains ou l’environnement à l’étranger. (cc Lock the Gate Alliance)

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Un bel exercice de langue de bois, c’est à quoi pourrait se résumer la prise de position du Conseil Fédéral contre l’initiative sur les multinationales responsables. Pour rappel, celle-ci, soutenue par plus de 80 organisations de la société civile, demande des règles contraignantes pour que les entreprises basées en Suisse respectent les droits humains et l’environnement aussi dans leurs activités à l’étranger, notamment via l’introduction dans la loi d’un devoir de diligence. Celui-ci obligerait les sociétés à vérifier si leurs activités à l’étranger conduisent à des violations des droits humains ou des standards environnementaux, à prendre des mesures pour y remédier et à rendre des comptes, faute de quoi elles pourraient être amenées à répondre de leurs manquements devant les tribunaux suisses.

Plusieurs cas concrets ont poussé au lancement de l’initiative, comme la pollution de rivières au Congo par Glencore, géant des matières premières basé à Zoug, ou le raffinage par Valcambi, installée au Tessin, d’or provenant de mines au Burkina Faso où de nombreux enfants travaillent.

Des dispositions non contraignantes inefficaces
«Le Conseil fédéral accorde une haute importance au respect des droits de l’homme et à la protection de l’environnement, dont il a fait des objectifs permanents et prioritaires», il «partage l’objectif principal de l’initiative», mais celle-ci «va trop loin», lit-on dans le message adressé aux Chambres. De l’opinion de l’exécutif, il ne faut donc…. rien faire! En effet, celui-ci ne présentera pas de contre-projet, estimant que les dispositions existantes sont suffisantes. Or, ce sont justement ces mêmes dispositions, non contraignantes et basées sur le bon vouloir des entreprises, qui ont «démontré leur inefficacité», selon les initiants.

Ceux-ci soulignent ainsi dans leur documentation que sur 200 entreprises suisses étudiées par les ONG Action de Carême et Pain pour le prochain, seules 11% ont commencé à mettre en œuvre les Principes directeurs relatifs aux entreprises et droits humains adoptés 2011 par les Etats membres des Nations-Unies et 61% des plus grandes entreprises suisses n’ont ni code de conduite, ni politique de droits humains ou ne communiquent rien à ce sujet. «Si nous voulons que les multinationales opèrent de manière décente, les violations doivent avoir des conséquences», a déclaré Dick Marty, coprésident du comité d’initiative.

Derrière cette inaction des autorités fédérales, la sempiternelle crainte d’une «mise en péril la compétitivité économique de la Suisse». «En adoptant la réglementation proposée par l’initiative, la Suisse ferait cavalier seul et affaiblirait ainsi sa place économique. Les entreprises pourraient s’y soustraire en déplaçant leur siège à l’étranger», explique le Conseil fédéral. Une argumentation dont le comité d’initiative conteste la pertinence en rappelant que plusieurs réglementations existantes vont dans le sens de l’initiative.

A commencer par la loi adoptée par la France en 2017, qui introduit un devoir de diligence ainsi qu’un mécanisme de responsabilité civile. Mais aussi les récentes recommandations du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies et du Conseil de l’Europe concernant l’introduction d’un mécanisme de responsabilité civile des entreprises. «A l’échelle internationale, il existe des obligations de diligence de plus en plus contraignantes, qui ont le plus souvent trait à des aspects spécifiques des activités d’une entreprise. […]En résulte une transformation du droit non contraignant (soft law) en droit contraignant (hard law)», souligne pour sa part Christine Kaufman, professeure de Droit à l’Université de Zürich et responsable du domaine thématique Droits humains et économie au Centre suisse de compétences pour les droits humains, citée par le comité d’initiative, qui donne également plusieurs exemples.

«Il est difficile d’aboutir à la conclusion que les entreprises délocaliseraient leur siège à l’étranger en cas d’acceptation de l’initiative. Au contraire, les réglementations adoptées dans d’autres pays font de la Suisse un havre de l’approche volontaire», estiment les initiants. Il leur faudra convaincre la population suisse.