Condamnée pour délit de solidarité

Suisse • La députée socialiste tessinoise Lisa Bosia a été condamnée pour avoir aidé des requérants d’asile dans le besoin à rejoindre leur famille. «Je n’avais pas le choix», dit-elle. Elle organise aujourd’hui une marche à travers la Suisse pour sensibiliser notamment «celles et ceux qui sont opposés à l’accueil des migrants». Interview.

«J’ai beaucoup de pressions de la part de la droite, mais je n’ai pas l’intention de quitter mon poste de députée», indique Lisa Bosia. (photo: ©Andre Brugger)

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On reproche à Lisa Bosia d’avoir accompagné illégalement à travers la frontière suisse 24 migrants syriens et érythréens dont beaucoup étaient mineurs non accompagnés et de les avoir aidés à se rendre en Allemagne. Elle a ainsi été condamnée la semaine dernière à 80 jours-amendes – soit 8800 francs – avec 2 ans de sursis, en vertu de l’art. 116 de la Loi sur les étrangers, qui puni d’une peine privative de liberté d’un an au plus ou d’une peine pécuniaire «quiconque facilite l’entrée, la sortie ou le séjour illégal d’un étranger ou participe à des préparatifs dans ce but».

Pour rappel, à l’été 2016, lorsque se sont déroulés les faits, un campement précaire de plusieurs centaines de migrants s’était formé dans un parc devant la gare de la ville italienne de Côme, après que ceux-ci aient été refoulés à la frontière helvétique. L’ONG Fridaus, présidée par Lisa Bosia, était présente sur place, fournissant notamment des repas aux réfugiés. Rencontre avec la principale intéressée.

Quelle a été votre réaction suite à cette condamnation? Ferez-vous appel?
Lisa Bosia Pour l’heure, nous avons demandé à pouvoir lire les motivations écrites du juge, ensuite nous déciderons si nous ferons appel, mais oui, c’est probable. Plus généralement, j’ai d’abord été déçue car je pensais que la souffrance des gens qui étaient à Côme pouvait être prise en compte. Mais je ne suis pas du genre à rester tranquille. J’ai donc décidé d’organiser une marche à travers la Suisse pour aller à la rencontre de la population, notamment celles et ceux qui sont opposés à l’accueil des migrants. Elle commencera le 15 octobre et nous allons parcourir 1000 kilomètres en 55 jours et 50 étapes. Nous irons dans les villages, les villes, partout. L’action est soutenue par 24 organisations de la société civile dont Solidarité sans frontières ou le collectif R, mais aussi les Verts et la Jeunesse socialiste par exemple.

Referiez-vous la même chose aujourd’hui?

Je n’avais pas le choix, c’était une situation vraiment difficile. Certaines des personnes qui se trouvaient à Côme avaient déjà été renvoyées plusieurs fois ou avaient été victimes de viol ou de tortures au cours de leur voyage. Elles étaient très mal et avaient absolument besoin de rejoindre leurs proches au plus vite, de l’autre côté de la frontière ou en Allemagne. La situation était vraiment grave. Je travaille dans le domaine de l’asile depuis 15 ans mais je n’avais jamais rien vu de pareil. J’ai d’ailleurs admis les faits qu’on me reproche. J’ai accompagné ces jeunes chez moi, je leur ai donné à manger puis je les ai accompagnés à la gare pour se rendre en Allemagne.

Revendiquez-vous une forme de désobéissance civile?
C’est délicat. Je dirais que nous nous situons entre la désobéissance civile et une action humanitaire. Le moteur de mon action est plutôt humanitaire.

Cédric Herrou a été condamné en France pour des faits similaires. Etes-vous en contact?
Nous nous sommes rencontrés. Je crois que nous sommes entre 20 et 30 en Europe dans une situation similaire. Il y a notamment des femmes de plus de 70 ans en Suède qui ont été accusées, un député en Allemagne, etc… Nous constatons que nous avons le droit de nous déplacer mais les personnes qui fuient des dictatures n’ont pas les mêmes droits. Peut-on l’accepter? Moi je ne peux pas.

Certains réclament votre démission du poste de députée. Que répondez-vous?

J’ai beaucoup de pressions de la part de la droite mais ils vont devoir constater que je ne suis pas si facile à intimider. J’ai le soutien de mon parti et je n’ai pour l’heure pas l’intention de quitter mon poste. Je vais participer à la marche dès le 15 octobre, ce qui sera aussi une occasion de réfléchir et revenir avec les idées claires.

Quelle est la situation aujourd’hui à Côme?

Les gens ne sont plus dans le centre-ville mais il y a toujours 60 à 70 personnes qui doivent dormir dehors tous les jours. Le problème est toujours là.

Plus d’informations sur la marche organisée dès le 15 octobre sur: www.bainvegnifugitivsmarsch.ch

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«L’Etat doit protéger les personnes qui défendent les droits humains»

La condamnation de Lisa Bosia a provoqué l’indignation de nombreuses organisations dont Amnesty, qui estime que le «jugement ouvre la voie à la condamnation de multiples personnes dont la seule motivation est de porter assistance aux personnes migrantes et réfugiées sans autre contrepartie que de voir les droits humains respectés». «Ni trafiquante, ni délinquante, Lisa Bosia Mirra est avant tout une défenseuse des droits humains. Il s’agissait bien de protéger les droits violés des mineurs et autres personnes vulnérables, qui étaient confrontés à l’inaction, aux défaillances et même aux atteintes à ces droits, portées par les autorités suisses et italiennes», insiste Denise Graf, experte asile de l’organisation.

Et de souligner que «l’Etat doit prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les personnes ou associations qui œuvrent à la protection des droits humains et qui en dénoncent les violations». Solidarités sans frontières a elle aussi dénoncé le jugement. «Loin de démissionner de sa fonction parlementaire, par son acte de courage, Lisa Bosia a rempli sa fonction avec lucidité, intelligence et détermination en défendant l’hospitalité», souligne l’organisation.