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Le monde de la musique, et plus généralement de l’édition, s’accommode mal des artistes qui bousculent les conventions. Celles et ceux qui sortent du «marché cible» ou qui remettent en cause notre «miracle libéral», le payent au prix fort. Elles et ils se trouvent confiné-e-s dans les marges et confronté-e-s à la difficulté de vivre de leurs créations. Si les censures officielles ne sont généralement plus de mise, la censure marchande sévit avec une brutalité et une efficacité bien plus redoutable.
L’artiste même pas informée
En mai de cette année, Mercury, label appartenant à Universal Music France, surprend en rééditant en vinyle l’album «Paix» de Catherine Ribeiro + Alpes, cette réédition venant après un coffret de 9 CDs regroupant les neuf albums réalisés avec le groupe Alpes qui était paru en 2015. Si l’on ne peut que se réjouir qu’une partie des albums de Catherine Ribeiro soit à nouveau disponible, il est aussi surprenant de savoir que cette réédition vinyle de «Paix» se soit faite sans en informer la principale intéressée. De quoi mesurer l’estime des maisons de disques pour les artistes. Pour l’anecdote et pour illustrer cette «estime», Pascal Nègre, alors président d’ Universal music France, apprenant la mort du chanteur Georges Moustaki le 23 mai 2013, a suscité l’indignation avec son tweet: « Avec Georges Moustaki c’est une des dernières légendes, artiste et poète, qui disparaît! Ses plus grands succès sont chez Universal! RIP».
Revenons au principal, la réédition de «Paix» et le plaisir de découvrir ou redécouvrir un album majeur de la scène pop-rock de la chanson française. Dès leur premier album, en 1969, «Catherine Ribeiro + 2 bis», Catherine Ribeiro + Alpes «éclatent» les standards de la chanson. Associant instrumentaux, chant et récitatifs, ils sortent du format de la chanson dite «de variété» n’excédant pas les trois minutes fatidiques pour passer en radio. Catherine Ribeiro n’est pas seule dans cette démarche créative, une autre très grande Dame, Colette Magny, confronte la poésie, les collages de textes et le jazz dans une démarche artistique sans concessions. Léo Ferré avec «Amour Anarchie» et «Il n’y a plus rien» en est également un acteur majeur.
Une chanson manifeste des droits humains
Catherine Ribeiro, c’est une voix chaude et profonde, envoûtante. Si elle est une très grande interprète, elle est également auteure de textes qui portent les révoltes, les luttes et l’insoumission face à ce monde en «déshumanisation». Elle a payé et paye encore son refus des compromissions. En 1971, à la parution de «Paix», les braises des mouvements de 1968 ne sont pas encore complètement refroidies et la Guerre du Vietnam continue dans l’horreur. L’édition originale de «Paix» était d’ailleurs habillée d’une pochette ouvrante dont l’intérieur consistait en un collage photographique illustrant l’atrocité de cette guerre. Dommage que pour cette réédition la pochette originale n’ait pas été reprise. Souci purement commercial ou volonté de «dépolitiser» et de lisser la présentation?
Les textes sont de Catherine Ribeiro et les musiques de Patrice Moullet, inventeur d’instruments de musique dont le cosmophone et le percuphone, qui apporte ses sonorités électroacoustiques. «Paix» s’ouvre avec un instrumental folk rock: «Roc alpin» pour se poursuivre avec une chanson poème «Jusqu’à ce que la force de t’aimer me manque». L’univers artistique est posé pour la chanson-cantate de presque seize minutes «Paix», qui donne son titre à l’album. Chanson manifeste des droits humains, elle porte en elle les espoirs des luttes et des combats. Les vents mauvais de l’ère néolibérale ne s’étaient pas encore mis à souffler.
La face B de l’album comporte un seul titre de vingt-cinq minutes «Un jour la mort». Chanson-cantate construite sous forme d’un dialogue avec la mort annonciatrice des désillusions qui ont suivi le «retour à la normale» après la vague des révoltes. Texte sombre qui se termine sur un retour à la lumière: «Je veux encore monter des bonhommes de neige – En hiver, sur les toits blancs des usines -Je veux faire sauter les autoroutes – Et me promener dans les hautes herbes des campagnes […] Je veux m’enivrer de la salive de mon amour – Je veux aimer et mourir de mort naturelle – Comme tout le monde, les deux pieds dans mes sabots -Redonnez-moi la Vie, la Mort, Belle Mort – Et je vous ferai un enfant».
Une artiste majeure de la chanson française
Par la suite, «Paix» sera recréé avec une nouvelle orchestration et une nouvelle interprétation, plus jazz rock, sur le neuvième et dernier album studio de Catherine Ribeiro + Alpes, «La déboussole», en 1980. Puis un nouveau texte, «Paix 86», sera enregistré sur l’album «Percuphonante 1986», avec toujours la complicité de Patrice Moullet, album autoproduit en l’absence de maison de disque qui n’avait pas renouvelé le contrat de Catherine Ribeiro. Et en 2007, sur un double album CD également autoproduit, «Catherine Ribeiro chante Ribeiro Alpes, enregistrement en public à Palaiseau», elle réinterprète le texte de 1971 sous le titre «Paix 007». Catherine Ribeiro est bel et bien une artiste majeure de la chanson française.
Catherine Ribeiro + Alpe, «Paix», album Vinyle, Mercury,mai 2017
