A l’ATS, les nouvelles ne sont pas roses

Presse • Les salariés de l’ATS se sont mis en grève cette semaine pour protester contre la suppression d’un quart des effectifs de l’agence. C’est aussi une nouvelle attaque frontale à la qualité de l’information en Suisse.

Les journalistes et employés de l’ATS ont protesté mardi à Berne (photo: Sergio Ferrari).

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Début janvier, on apprenait que la direction de l’ATS (Agence télégraphique Suisse), sans concertation avec le personnel et pour des raisons de rentabilité financière, s’apprêtait à licencier une quarantaine de collaborateurs, soit près du quart des effectifs. Cette nouvelle a dans un premier temps été quelque peu occultée par la campagne sur l’initiative «No Billag», qui menace déjà la qualité de l’information. Mais les journalistes et employés de l’ATS ont montré leur détermination à se faire entendre. Ils ont ainsi rédigé une lettre ouverte aux politiciens de ce pays et se sont mis en grève durant 3 heures ce mardi 23 janvier. Le mouvement, suivi par quelque 150 personnes (près de 80% du personnel), a été lancé face à l’intransigeance de la direction dans l’application immédiate du plan de restructuration. De nombreuses personnes, notamment des politiques, ont manifesté leur soutien.

Un moratoire exigé

Dans une résolution adressée à leur direction, les grévistes ont notamment dénoncé le fait que celle-ci ait déjà entrepris des entretiens individuels pour notifier des licenciements, sans mettre en place un soutien psychologique et avant la fin des négociations. «Les premières personnes sont plongées dans des états de crise sévère. (…) C’est très lourd pour les personnes directement concernées, mais aussi pour les collègues proches et l’ensemble de la rédaction», dénoncent-ils. Ils exigent «un moratoire sur les suppressions de postes, la suspension de tous les entretiens individuels et le début de négociations sérieuses sur le plan de restructuration», insistant notamment sur l’importance de réfléchir à une stratégie journalistique. «Moins de dépêches à la fin de la journée ou de l’année, ce n’est pas une stratégie!», clament-ils. Aucune rubrique ne doit disparaître – les rubriques économique, culturelle et étrangère sont menacées – et des efforts d’économies doivent également être faits du côté de la direction, revendiquent-ils encore. (voir également l’interview ci-dessous).

Mais en fait, l’ATS c’est quoi? Et comment en est-on arrivé là? Si l’on voit cette signature dans presque tous les journaux, son travail est mal connu. Elle joue pourtant un rôle essentiel pour «nourrir» les différents médias suisses. Elle a d’ailleurs été fondée à la fin du 19ème siècle, pour permettre aux journaux suisses de ne pas dépendre de l’étranger. Depuis lors, l’ATS fourni «le tapis d’informations sur lequel les différentes rédactions peuvent mettre leur meubles», selon les termes de Bernard Maissen, rédacteur en chef de l’Agence jusqu’en novembre 2017. C’est un travail de fourmi que ses quelque 180 collaborateurs effectuent, dans l’ombre, 365 jours par an, publiant 200’000 dépêches annuellement. Une base essentielle que les grands et petits médias utilisent pour construire leurs journaux en fonction de choix rédactionnels propres à chacun. Il s’agit d’information brute, mais déjà analysée et triée de manière à en assurer la fiabilité: un travail d’autant plus important à l’heure des «fake news» et des réseaux sociaux.

Pressions sur le budget de l’agence
Les éditeurs, qui sont propriétaires de l’ATS, les trois plus importants étant la NZZ, Tamedia et la SSR, avaient bien compris cette importance jusqu’à récemment. Ils n’exigeaient pas de rentabilité à l’Agence, mais seulement de couvrir ses frais. Convaincus de la qualité des informations fournies, les pouvoirs publics utilisent eux aussi régulièrement les services de l’ATS.

Mais les propriétaires de l’Agence, soit la plupart des médias, voient leurs recettes publicitaires diminuer et les actionnaires exiger la rentabilité. Ils ont donc décidé de payer 10% de moins pour ses dépêches en 2017. En a résulté un déficit de fonctionnement d’un million de francs. Les rédactions des différents journaux, elles-mêmes sous pression, n’ont pas trop réagi, même si c’est la base de leur travail qui est sapée. La direction de l’ATS parle même de plus de 3 millions de francs de déficit en 2018 si les restructurations proposées ne sont pas réalisées.

D’autre part, l’ATS a annoncé fin 2017 sa fusion avec Keystone, agence de photo dont le capital était détenu à 50% par l’APA (équivalent de l’ATS en Autriche). Dans la nouvelle entité ATS-Keystone, l’APA, avec 30% des parts, sera actionnaire principal et exige, contrairement à ce qui était le cas avant, des niveaux de rentabilité majeurs. Le CEO de la nouvelle entité, M. Schwab, a d’ailleurs bien insisté sur le fait que l’ATS devait être gérée comme n’importe quelle entreprise et donc s’adapter à l‘économie de marché.

C’est dans ce contexte que se joue l’avenir de l’ATS: si la restructuration telle que prévue aboutit, c’est un pan de plus de la diversité de l’information qui disparaîtra, et l’invasion encore plus massive des grands groupes de presse qui se dessine. Le combat des rédacteurs mérite ainsi le soutien à plus d’un titre.

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«Nous refusons des décisions prises sans aucune concertation»

Interview • Theodora Peter, collaboratrice de longue date de l’ATS et ancienne directrice d’édition au journal «Der Bund», a répondu à nos questions.

Comment avez-vous vécu l’annonce de la fusion de l’ATS avec l’agence de photo Keystone?
Theodora Peter En soi, l’idée est plutôt séduisante: avoir à la fois des compétences journalistiques et de photo dans une même agence pouvait améliorer le service que nous fournissons aux médias et aux autorités qui le désirent. Mais dans les faits, cela nous a mis sous pression encore plus qu’avant, puisque l’entrée en force de l’agence autrichienne APA dans la nouvelle entité a eu pour conséquence que l’on ne nous demande plus seulement d’équilibrer nos comptes, mais bien de dégager de la rentabilité économique aux dépens de la qualité du travail.

Les décisions que la direction de l’ATS vous a communiquées début janvier 2018 vous ont-elles surprise?

On sentait bien qu’une restructuration était dans l’air, mais on ne s’attendait pas à une pareille attaque à ce qui représente l’essence même de notre travail. Penser que l’on va pouvoir assurer la même qualité avec 25% d’effectifs en moins est juste ridicule. En plus, cela va défavoriser le Tessin et la Suisse Romande, qui, de par leur taille, ont plus de peine à s’auto-financer. La rédaction veut bien entrer en négociations avec la direction pour relever le défi actuel et nous ne nions pas la diminution des recettes publicitaires de la presse écrite en particulier. Mais nous refusons des décisions qui ont été prises sans aucune concertation.

Quelles sont vos revendications générales?
Nous demandons de renoncer à supprimer des postes dans une telle ampleur. Nous souhaitons que la direction accorde à la commission de rédaction (CoRé) davantage de temps pour faire d’autres propositions. Il nous paraît aussi essentiel que la direction transmette à la CoRé les informations nécessaires pour lui permettre de le faire. Il faut aussi d’abord définir l’offre future de l’ATS et communiquer aux clients et actionnaires ce que l’agence pourra encore produire avec moins de ressources. Il nous paraît aussi nécessaire de renoncer aux rabais aux clients et à des offres gratuites comme le service vidéo, qui péjorent l’équilibre des finances de l’ATS de manière artificielle. Enfin, si licenciements il doit y avoir, nous demandons qu’ils soient amortis, tout comme les retraites anticipées, au moyen d’un plan social digne de ce nom.