Foire d’empoigne sur PF 17

Genève • La bataille sur la réforme cantonale de l’imposition du bénéfice des entreprises électrise la classe politique genevoise, avec une ligne de démarcation claire entre droite et gauche.

La réforme de l’imposition des bénéfices des entreprises conduira à des pertes fiscales de 350 millions de francs supportées par des baisses dans les services publics, estime la gauche, prête à lancer un référendum (photo: Carlos Serra)

Hasard du calendrier? Toujours est-il que coup sur coup, Serge Dal Busco, le ministre des finances genevois et son collègue au niveau fédéral, Ueli Maurer, ont annoncé qu’il fallait rapidement mettre en boîte aux niveaux cantonal et national la nouvelle réforme de l’imposition des entreprises (rebaptisée PF17, après son échec dans les urnes en février 2017), qui doit en finir avec les statuts spéciaux pour les multinationales et proposer un taux unitaire d’imposition des bénéfices des entreprises dans les cantons. Au bout du lac, le grand argentier PDC tient mordicus, comme il l’a expliqué dans Le Temps, à la fixation d’un taux de 13,49%, histoire d’être au niveau de celui du Canton de Vaud, qui a approuvé une réforme au taux imbattable de 13,79%, contrebalancée par un volet social, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2019.

Pas de stratégie
Dans le canton de Genève, on est encore loin de l’unanimité et c’est la foire d’empoigne qui prédomine entre forces politiques. «Pour l’heure, on a l’impression que le Conseil d’Etat n’a pas de stratégie pour compenser les pertes prévisibles de la réforme et veut se limiter à fixer un moratoire aux freins au déficit et à l’endettement pendant 5 ans. C’est suicidaire», estime Roger Deneys, député socialiste.

Le PS, Ensemble à Gauche (EàG), les Verts, ainsi que la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS) ont d’ailleurs fait savoir la semaine dernière qu’en l’état, la réforme, qui est discutée au sein de la commission fiscale du Grand Conseil, était encore inacceptable, du fait du manque à gagner de plus de 350 millions de francs pour les collectivités publiques, après compensation partielle par la restitution de l’impôt fédéral direct au canton. Les syndicats et les partis de l’Alternative se déclarant même prêts à combattre par référendum une réforme, «qui n’a fait que changer de nom depuis l’échec en votation de la RIE III».

Pour pallier les risques de baisse de prestations publiques, EàG a voulu bétonner le terrain, en déposant au Grand Conseil le 25 janvier un projet de loi intitulé «Pas de cadeaux fiscaux aux grandes entreprises sur le dos de la population». Le texte demande que l’Etat agisse en faveur de la réduction de la concurrence fiscale intercantonale et que la mise en œuvre cantonale de la réforme préserve le financement des services publics et des prestations à la population, tout en maintenant les recettes fiscales cantonales et communales. Il exige aussi que l’Etat refuse toute «hausse induite» du déficit ou de la dette du canton et qu’il défende la progressivité de l’impôt.

En outre, le groupe défend la fixation d’un taux d’imposition unique de 16%, ce qui réduirait d’un tiers l’imposition des sociétés à statut ordinaire et majorerait d’un tiers celui des sociétés à statut privilégié. «Un tel taux serait neutre fiscalement, conserverait la différence d’imposition actuelle des personnes morales entre les cantons de Vaud et Genève, et serait extrêmement bas en comparaison internationale (33% en France, 30% en Allemagne et en Autriche, 24% en Italie)», justifie EàG. En discussion au parlement, le projet soutenu par le PS, mais pas par les Verts, au grand dam de Pierre Vanek, qui a dénoncé un «théâtre guignol» des écologistes, a été renvoyé à la commission fiscale pour étude. «Cette décision va conduire à un enterrement de première classe de notre proposition», se lamente le député Jean Batou, la commission étant majoritairement à droite.

Neuf projets de loi contre le bouclier fiscal
De son côté, le PS fait aussi le forcing, mais concentre majoritairement ses attaques contre le bouclier fiscal institué en 2010 par la droite pour limiter l’imposition cantonale sur le revenu et la fortune, au taux maximum de 60% du revenu net imposable. Cette réforme fait aujourd’hui perdre 113 millions de francs par an au canton suivant les calculs socialistes. «Nous connaissons actuellement une crise des recettes fiscales, qui, à cause des réductions d’impôts de ces 15 dernières années, a conduit à un déficit structurel», a expliqué Romain de Sainte Marie, chef de groupe, lors du débat sur leur projet de loi intitulé «suspension du bouclier fiscal pour une solidarité accrue des plus fortunés», projet qui n’a pas manqué de faire crier la droite à l’irresponsabilité de la gauche ou à l’exode des plus riches à Nyon.

Le texte passera finalement en commission fiscale, après deux refus du Grand Conseil en septembre et novembre derniers. Pour forcer ce passage en commission, le PS n’aura pas hésité à déposer le 9 janvier pas moins de….neuf autres projets de lois sur le sujet. «Le renvoi en commission fiscale va nous permettre d’avoir plus de transparence et de connaître les détails et vrais chiffres de ces cadeaux fiscaux, qui étaient estimés à 40 millions de francs en 2010 mais qui représentent plus de 110 millions de francs aujourd’hui», assure Roger Deneys. La droite, elle non plus, n’est pas complètement inerte pour défendre les intérêts de sa clientèle. Mi-janvier, le PLR a lui aussi déposé trois projets de lois pour baisser la fiscalité des personnes physiques, notamment une diminution de 5% de l’impôt direct cantonal. «Ces propositions sont du pur électoralisme avant les élections cantonales du printemps. Elles sont absurdes, car elles vont contribuer à renforcer le déficit induit par PF 17», tranche Roger Deneys. La bataille de PF 17 entre dans le vif du sujet.