L’histoire de l’OCL en disques

Musique • Le coffret qui commémore les 75 ans de l’Orchestre de Chambre de Lausanne est un parfait reflet des chefs qui s’y sont succédé.

Victor Desarzens à la tête de l’OCL qu’il a fondé en 1942 et dirigé trente ans durant.

Un coffret de sept disques évoque les 75 ans de l’Orchestre de Chambre de Lausanne. Le choix des œuvres reflète fidèlement le passage des chefs qui se sont succédés à la tête de l’orchestre. Sauf qu’il était naturellement difficile de faire déjà un bilan de l’ère Joshua Weilerstein, qui vient de débuter. Mais, sur le 7e disque, la touche de gaieté malicieuse dans la symphonie Le Distrait de Haydn, la présentation d’une œuvre contemporaine américaine qui, en fait, n’a de moderne que la date de sa composition, avant une 4e de Beethoven à l’élan juvénile, correspondent bien aux programmes que le jeune chef new-yorkais propose aux grands concerts d’abonnement de l’OCL.

Le programme le moins original est celui du disque Christian Zacharias: après Haydn, on a le concerto n°2 de Chopin et l’Inachevée de Schubert; non seulement on s’arrête à l’année 1829, mais ce n’est pas précisément, à part Haydn en début de ce 6e disque, le répertoire d’un orchestre de chambre. Zacharias est d’abord pianiste, donc retenons le concerto de Chopin qu’il joue et dirige du clavier. On regrette une prise de son qui, si elle favorise le piano, rend l’OCL opaque. On peut du reste se demander si l’orchestre, réduit au rôle d’accompagnant, ne gagnerait pas à avoir un chef et un effectif de cordes plus fourni. On n’en admire pas moins le pianiste Zacharias, sa musicalité, son toucher nuancé, la fluidité de sa technique, la sensibilité romantique mais jamais excessive de son interprétation.

Le vrai répertoire de l’OCL en cinq temps: Victor Desarzens
A vrai dire ce sont les cinq premiers disques du coffret qui se révèlent les plus intéressants et cernent bien ce que fut l’apport d’une part de Victor Desarzens, le fondateur, d’autre part des chefs qui lui ont succédé de 1973 à 2000, soit Armin Jordan, Lawrence Foster, Jesús López Cobos.

Victor Desarzens a droit à deux disques. Du reste il fut trente ans à la tête de son orchestre. Pour ceux qui ont vécu les débuts de l’aventure, c’est toute une époque qui renaît, une époque où l’on osait être curieux, une époque où le succès, c’était une salle comble de…450 places à l’ancienne Maison du Peuple! On y donne en 1957 une œuvre de Henze écrite en 1956, en 1963 un Hommage de Malipiero composé en 1962. On joue Frank Martin, Zbinden, Hindemith, pour ne citer que les compositeurs qui figurent sur le disque 2 du coffret, donc la musique contemporaine, en particulier celle des compositeurs de ce pays: «Il n’est que stricte justice que ces auteurs suisses soient joués par un orchestre œuvrant dans une ville suisse…. Notre orchestre faillirait à sa tâche en renonçant à ces auditions», disait Victor Desarzens. Mais bien sûr Mozart, Haydn, Bach, qu’on redécouvrait alors, seront aussi, dès les premiers concerts et sur le disque 1, la signature de l’OCL.

Armin Jordan
«Mon père a mené son dernier combat pour que ce soit Armin Jordan qui soit son successeur à la tête de l’OCL», écrit Martine Desarzens. On sait la place qu’occupe le répertoire lyrique pour Armin Jordan, qui dirigera l’OCL de 1973 à 1985, et son admiration pour la soprano Felicity Lott, que l’OCL accompagne sur le disque 3 dans un air de Bérénice de Haydn, mais surtout dans les Illuminations de Britten sur des textes de Rimbaud. C’est un des moments exceptionnels de cette rétrospective, exceptionnel par les qualités vocales de la soliste, exceptionnel par la conduite de la partie orchestrale, exceptionnel par cette connivence expressive visionnaire entre Armin Jordan et Felicity Lott. Les aigus sans dureté, amples, remarquablement ductiles de la soprano, impressionnent dans les forte comme dans les pianissimi, dans les moments enjoués et les passages dramatiques, et l’OCL se fait partenaire engagé de l’interprétation. La dernière plage du disque est un clin d’œil à André Charlet qui a préparé le Chœur de la radio pour les Liebeslieder Wälzer op. 52 de Brahms, lesquelles tournent gentiment sentimentales ou conquérantes, enjouées ou volontaires, dans une agogique mélodiquement très naturelle.

Lawrence Forster
Avec Lawrence Forster, chef américain d’origine roumaine, à la tête de l’OCL de 1985 à 1990, c’est le compositeur Georges Enesco (1881- 1955) qui est à l’honneur; la symphonie de chambre op 33, qui est sa dernière œuvre, deux intermèdes et le dixtuor pour instruments à vents, figurent sur le disque 4, repris d’un enregistrement fait pour Claves. L’étonnante modernité de cette musique joue sur les couleurs des timbres, laisse entrevoir discrètement la tradition populaire mais plus encore cette synthèse entre impressionnisme et rigueur qui caractérise l’écriture d’Enesco, en un langage parfois très complexe, souvent rapsodique, dont se dégagent lyrisme, nostalgie et audaces sonores.

Jesús López Cobos
Que Jesús López Cobos, de 1990 à 2000, ajoute une touche espagnole à ses programmes ne surprend pas et l’on peut entendre sur le disque 5 Les Sept chansons populaires de Manuel de Falla, qui puisent dans le folklore, mêlent vocalises, interjections et ornementations proches de l’improvisation. Teresa Berganza y est irrésistible, de l’espièglerie chaloupée à la passion violente. L’OCL, nerveux, précis, brillant ou poète, prend des couleurs ibériques. Sur le même disque, deux pièces peu connues de Schubert dont le soliste est Gidon Kremer, mais aussi les Suites 1 et 2 de Stravinsky, rarement données avant ma mère l’Oye de Ravel, toute de tendresse et de raffinement. Bref un programme varié dans la ligne de ce que doit être et rester le répertoire de l’OCL.

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Claves 50-1711-17 Orchestre de chambre de Lausanne 75 ans 7 Cds.
L’OCL et Claves ont pu compter sur un partenaire commun et fidèle la Radio Télévision Suisse qui a donné l’accès à ses trésors enregistrés dès l’origine de l’orchestre.