Les paysans finiront-ils sur la paille?

Agriculture • Entre prix trop bas du lait, ouverture des marchés à travers des accords de libre-échange ou manque de volonté du Conseil fédéral de favoriser la pérennité de l’agriculture locale, le monde paysan tire la sonnette d’alarme de sa survie.

«Depuis des années, les prix du lait ont chuté de manière vertigineuse et ne couvrent de loin pas les coûts de production. Aujourd’hui, les producteurs de lait de centrale sont payés en moyenne entre 50 et 55 centimes par litre de lait alors que le coût de production revient à environ 1 franc le litre. De plus, depuis 20 ans, le prix de vente pour le consommateur a baissé de 10% tandis que pour le producteur, il a chuté de 50%».

Pour enrayer cette spirale, le syndicat paysan Uniterre a déposé à la chancellerie fédérale le 27 mars une pétition, forte de plus de 25’000 signatures, adressée à Johann Schneider-Ammann. L’organisation a calculé qu’en 20 ans, on est passé de 44’360 producteurs de lait à 20’987 en 2016. Uniterre demande que soient fixés des prix rémunérateurs. «Pour y arriver, il faut que les producteurs puissent gérer les volumes de production. Depuis la fin des contingentements laitiers en 1999, nous attendons toujours un contrat laitier, comme prévu dans la Loi sur l’agriculture, avec des dispositions sur les quantités, les prix et les modalités de paiement et d’une durée d’au moins une année. Sans cela, nous sommes à la merci de l’industrie de transformation et des grandes surfaces», explique Rudi Berli, président d’Uniterre-Genève.

Ligne rouge à ne pas dépasser
La loi prévoit que la fixation de tels contrats incombe aux interprofessions du secteur laitier. Le problème, selon le syndicaliste, c’est que la Fédération des producteurs suisses de lait (FPSL) et l’interprofession du lait (IP-Lait) «seraient phagocytées par des membres de l’industrie laitière» et soumis au dogme de la concurrence, portée par le Conseil fédéral. «Face à cette situation, il serait important d’instaurer un rapport de force», assure Rudi Berli. En juillet dernier, le syndicat s’était déjà mobilisé devant les locaux d’IP-Lait pour protester. Le 17 avril, à l’occasion de la Journée internationale des luttes paysannes, il manifestera devant l’Office Fédéral de l’Agriculture (Ofag) pour défendre l’agriculture indigène.

Outre la question laitière et le maintien d’une production locale, l’ouverture amplifiée des marchés, issue des accords de libre-échange que la Suisse signe avec des pays comme la Colombie ou la Chine, inquiètent aussi le monde paysan. Sur la table de négociations, des accords avec le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay et Bolivie) ou avec la Malaisie et l’Indonésie sont en passe d’être signés. «La Suisse est le pays qui importe déjà le plus de denrées alimentaires. Face à cette concurrence du Mercosur, qui englobera aussi bien le marché des fruits que de l’élevage ou les grandes cultures céréalières du blé ou du soja, il est très important d’instaurer des normes environnementales et sociales contraignantes. Sans mesures compensatoires, le revenu des paysans pourrait baisser de 30 à 50%», explique Rudi Berli.

Du côté de l’Union suisse des paysans (USP), principale faîtière suisse des paysans, la position est semblable, avec des nuances. «Notre position face à ces accords de libre-échange a toujours été un «oui, mais». Il importe de respecter et de sécuriser quelques préconditions. Cette ligne rouge est bien connue par le Conseil fédéral et jusqu’à présent, tous les accords l’ont respectée», souligne Beat Röösli, responsable de la division relations internationales de l’USP. «Le point le plus important, c’est que les produits sensibles – comme la viande bovine dans le cas du Mercosur et le colza dans le cas d’importation d’huile de palme de la Malaisie et l’Indonésie – soient protégés par des barrières tarifaires. Nous ne sommes prêts à des concessions que si l’on obtient aussi de bonnes conditions pour exporter du fromage ou des produits de haute valeur ajoutée. Nous voulons enfin que le Conseil fédéral respecte le nouvel article 104a de la Constitution, où il est dit que des relations commerciales doivent contribuer à une agriculture durable. Cela signifie qu’il faut également mettre en place des critères de durabilité pour les produits importés», précise encore Beat Röösli.

«La durabilité est loin d’entre acquise»
La solution pour maintenir une agriculture vivace passe-t-elle par le terrain législatif? Le 24 septembre dernier, le peuple a massivement soutenu un article constitutionnel, promouvant la «sécurité alimentaire», contre-projet à l’initiative retirée de l’USP sur le sujet. Le texte avait pour objectif d’assurer à long terme un approvisionnement suffisant de la population en denrées alimentaires. Il demandait que la Confédération créée des conditions pour préserver la base agricole, notamment des terres agricoles et une production adaptée aux conditions locales et respectant les ressources naturelles, tout en exigeant que le secteur réponde aux exigences du marché.

«Dans la Loi sur l’agriculture, on trouve déjà des principes comme la durabilité, mais dans les faits, celle-ci est loin d’être acquise tant au niveau économique pour les producteurs qu’à celui de la protection de l’environnement», tempère Rudi Berli. «Nous considérons que pour changer les choses, il faut renforcer la pression sur le Conseil fédéral, notamment par la mobilisation des consommateurs et en trouvant des alternatives de production de qualité sur le terrain local», explique-t-il encore.

Il fonde cependant de grands espoirs dans l’initiative lancée par Uniterre et intitulée «Pour la souveraineté alimentaire – l’agriculture nous concerne toutes et tous», qui sera soumise au vote. Celle-ci demande, entre autres, que la Confédération favorise une agriculture paysanne indigène rémunératrice et diversifiée, fournissant des denrées alimentaires saines et répondant aux attentes sociales et écologiques de la population ou que la Suisse prélève des droits de douane sur les produits agricoles et les denrées alimentaires importés et en régule les volumes d’importation. Recalée au parlement, elle pourrait être soutenue par Bio-suisse ou l’USP, qui prendront leur décision courant avril, espère Rudi Berli.