Jacques Higelin, le funambule des mots, s’en est allé au début du mois d’avril. Cet amoureux du cirque a reçu un hommage au Cirque d’Hiver à Paris, avec une foule qui entonne sa chanson «Irradié», avant de l’accompagner en applaudissements et en chansons au Père-Lachaise. Restent ses enregistrements, dont son superbe dernier album Higelin 75, dont le titre est un double clin d’œil à son âge et à BBH 75, un album marquant du rock francophone qu’il publia fin 1974.
Jacques Higelin, c’est surtout de nombreux souvenirs de ses passages sur scène. C’est lorsqu’il est en concert qu’il donne la pleine mesure de ses talents d’artiste et de saltimbanque. Parmi ses prestations mémorables figurent les deux concerts, deux soirs de suite, qu’il a donnés au théâtre de Beaulieu en octobre 1982 en soutien aux inculpés de «Lôzane bouge».
En ce début des années quatre-vingt, après Zurich, «Lôzane» bouge. La jeunesse descend dans les rues pour revendiquer un centre autonome, un lieu culturel autogéré qui échapperait au mercantilisme am-biant. C’en est trop pour les autorités politiques de l’époque et pour le syndic de Lausanne, le futur conseiller fédéral Jean-Pascal Delamuraz. Le mouvement est réprimé à coup de matraques, et de gaz lacrymogènes. Le cycle répression – manifestation s’enclenche avec son lot d’arrestations et de violences. Onze personnes sont déférées devant la justice en tant que «meneurs» du mouvement. Se pose alors la question, pour «Lôzane bouge», du financement de la défense de ces onze inculpés.
Jacques Higelin est en concert à Lausanne en avril 1982 et à cette occasion, il est approché par Marlène Belilos, au nom des militant-e-s de «Lozane bouge», qui lui demande s’il serait d’accord de se produire dans un concert de soutien. Jacques Higelin donne immédiatement son accord. Il chantera gratuitement, mais demande que ses musiciens soient payés. Trouver une salle n’est pas facile et c’est finalement au Théâtre de Beaulieu que le concert a lieu. Les organisateurs doivent réunir une caution de 40’000.- francs pour couvrir d’éventuels dégâts à la salle.
La salle s’éteint, le rideau se lève
Les soirs des concerts, des militant-e-s de «Lozane bouge» expliquent au public qu’il ne faut pas fumer dans la salle et que tout dégât sera à la charge du mouvement. La salle s’éteint, le rideau se lève et Jacques Higelin offre sa magie à une salle pleine qui se laisse emporter dans son univers musical et poétique. A la fin du concert, alors qu’il interprète «Champagne», une fillette vient sur la scène lui apporter une grande bouteille de champagne. Il reviendra régulièrement se produire en Suisse romande, notamment à Paléo, mais les concerts «Lôzane bouge» restent à jamais «à part». Salut l’artiste!
