Qui peut frapper monnaie: une longue histoire

Eclairage • Ce n’est pas la première fois que les citoyens suisses voteront sur des questions de politique monétaire. Petit retour sur les débats autour de la monnaie au cours des siècles.

Le 10 juin, nous serons appelés à nous prononcer sur l’initiative fédérale «Monnaie pleine». Ce n’est pas la première fois que les citoyens suisses voteront sur des questions de politique monétaire. Qu’il s’agisse de remplacer les monnaies locales par le franc devenu moyen de paiement général, d’attribuer à la Confédération le droit de battre monnaie, de réglementer l’émission de billets de banque ou d’instituer une banque centrale, les Suisses se sont déjà vus proposer des référendums obligatoires ou facultatifs ou des initiatives populaires. L’histoire tourmentée de l’unification des monnaies et celle de la création de la Banque nationale suisse (BNS) sont riches en polémiques. Les arguments avancés de part et d’autre pourraient nous aider à nous positionner sur les questions de politique monétaire que soulève l’initiative «Monnaie pleine», et à en comprendre les enjeux.

860 monnaies jusqu’à la fin du 18e
Jusqu’à la fin du 18e siècle circulaient en Suisse pas moins de 860 espèces monétaires. Emises par 79 autorités ayant droit de battre monnaie, ces pièces étaient fabriquées dans des ateliers privés situés à Bâle, Berne, Soleure et Genève. En 1798 Napoléon Bonaparte envahit la Fédération des XIII Cantons et fit proclamer la République helvétique égalitaire et centralisée, où les cantons étaient censés fonctionner comme des départements à la française. Ils furent obligés à céder leurs compétences à l’Etat central, dont celle de battre monnaie. Le franc suisse fut introduit en 1799 et devint l’unité monétaire ayant cours sur l’ensemble du territoire. Or, les tensions insurmontables dues à la suppression des particularités cantonales obligèrent Napoléon à renoncer à sa «France en miniature» et à promulguer la constitution de «Médiation». Datée de 1803, celle-ci rendit aux cantons certaines prérogatives comme de pouvoir battre monnaie, donc déjà avant la «Restauration» de 1815.

Le retour de la démocratie bourgeoise à partir de 1830 aboutit à la Constitution fédérale de 1848. Celle-ci stipule dans son art. 36, que le «numéraire est frappé par la Confédération seule». Deux ans plus tard, une loi fédérale sur la monnaie instaure le franc suisse comme monnaie nationale. Des pièces d’argent de 5, 2 , 1 et ½ francs circulent dès 1852, les 20, 10, 5, 2 et 1 centimes étant frappés en métaux moins nobles.

La Caisse de dépôt de la Ville de Berne émit en 1825 le premier billet de banque de Suisse et fut vite imitée par les banques cantonales de Berne, Zurich, Saint-Gall, Bâle et Vaud. Ces billets étaient appréciés des grossistes, industriels et financiers, tandis que le grand public les boudait plutôt. Ils n’avaient en effet pas de cours légal; en outre leur grande diversité et la mauvaise qualité du papier permettaient mal de distinguer les vrais billets des contrefaçons.

Cependant, la fermeture des frontières lors de la guerre franco-prussienne provoqua en 1870 une pénurie de numéraire métallique, de sorte que l’emploi des billets de banque se généralisa. Vers la fin des années 1880 leur masse surpassait celle de la monnaie métallique. Comme l’impression de billets de banque procure des avantages financiers à celui qui les émet, des collectivités publiques et des particuliers y eurent largement recours: En attribuant à l’argent-papier une valeur nominative supérieure à celle de sa couverture garantie en métaux précieux, l’émetteur encaisse la différence et s’octroie du crédit gratuit. Durant le XIXe siècle une soixantaine d’instituts s’adonnaient à l’émission de billet de banques.

Juguler une émission chaotique
A plusieurs reprises, le Conseil Fédéral tenta de juguler l’émission chaotique et de réglementer. Une proposition d’attribuer à la Confédération seule la compétence d’émettre des billets fut refusée en 1872 et n’entra qu’en version édulcorée dans la Constitution révisée de 1874. Celle-ci concéda à la Confédération juste le pouvoir de décréter des prescriptions sur l’émission de billets de banque. La loi fédérale sur les billets de banque qui vit le jour en 1891 donna à la Confédération le droit de contrôler les billets en circulation et d’œuvrer à leur uniformisation quant aux formats, valeurs nominales et textes.

Durant presque un quart de siècle de débat passionné, les partisans d’un monopole fédéral des billets de banque avaient affronté les adversaires de la centralisation. Le développement de l’économie et la complexité grandissante des transactions financières donnèrent raison aux centralisateurs. Les Chambres fédérales surent convaincre le peuple d’accepter la nouvelle disposition constitutionnelle de 1891, qui accorde à la Confédération le droit exclusif d’émettre des billets et toute autre monnaie fiduciaire. Le texte constitutionnel laissa au législateur le soin de trancher un autre point litigieux: faut-il créer une banque d’Etat ou une banque par actions?