L’ex-guérillero Gustavo Petro sur la route de la présidence

Colombie • Candidat de Colombie humaine, l’ancien maire de Bogota a qualifié la gauche pour le second tour de l’élection présidentielle. Une première dans l’histoire du pays. Portrait. (Par Cathy Dos Santos, paru dans L'Humanité)

Après avoir livré trente-deux guerres civiles – toutes perdues –, le colonel Aureliano Buendia s’en est retourné à Macondo. Solitaire, le personnage de Gabriel Garcia Marquez de Cent ans de solitude possède des vertus incroyables, comme celle de prédire l’avenir. Tout jeune, Gustavo Petro, reclus dans un collège public tenu par des franquistes renfrognés, s’évade, en dévorant le réalisme magique de Gabriel Garcia Marquez. L’écrivain latino-américain est frappé d’interdiction parce que communiste. Le lycéen défie l’ordre et la morale. Les mots de Gabo le hantent. Ils n’ont depuis cessé d’habiter le candidat de la Colombie humaine, qui, pour la première fois de l’histoire de ce pays meurtri par la violence politique, a qualifié, dimanche, la gauche en recueillant 25,10% des suffrages. A l’époque, déjà, il a choisi son camp: la justice sociale au nom de la défense les pauvres.

Adolescent donc, Gustavo Petro se rebelle. Les inégalités sociales qui transpirent de toute part façonnent l’engagement du natif de Cienaga de Oro, un village situé dans la Caraïbe abandonnée des dirigeants qui se succèdent au pouvoir. Le coup d’Etat contre le socialiste chilien Salvador Allende, en 1973, est lui aussi un détonateur de sa conscience politique. À 17 ans, il intègre la guérilla bolivarienne du Mouvement du 19 avril, tout en poursuivant ses études. Son surnom dans les rangs de l’insurrection: Commandant Andres ou encore Aureliano, en hommage à son mentor intellectuel. Il a toujours dit d’ailleurs que les œuvres de Garcia Marquez ont été déterminantes à l’heure d’aiguiser ses combats.

Menaces de mort et exil forcé
Beaucoup d’encre a coulé depuis ces années 1980 marquées au fer rouge. En ces temps-là, le narcotrafiquant Pablo Escobar a mis le pays à genoux, et tire les ficelles de politiciens véreux qui doivent leur salut mais surtout leur fauteuil d’élu à l’argent de la drogue. Les guérilleros affrontent un Etat de non-droit où la puissante oligarchie perpétue un régime féodal. Les candidats de gauche aux élections présidentielles, eux, sont assassinés à la chaîne, sans que le reste du monde s’en émeuve plus que ça.

Gustavo Petro a lui aussi changé, sans se départir de ses engagements. Dès les années 1990, il troque le fusil pour les habits civils, qu’il n’a jamais cessé de porter. Il opère une reconversion dans la vie politique dite légale. Dès 1991, il devient député à la Chambre des représentants. Il essuie les menaces de mort, et subit un exil forcé durant quatre ans. De retour en Colombie, et de nouveau élu, il se taille une réputation de parlementaire droit, rigoureux, studieux et sans concession.

Sénateur à la fin des années 2000, il est un orateur hors pair. Il acquiert alors une stature nationale, en devenant l’un des plus illustres opposants au président ultradroitier Alvaro Uribe. Gustavo Petro monte au front contre la corruption. Il fustige la «parapolitique», cette pieuvre immonde de milices paramilitaires qui ont porté une foule d’élus de la majorité présidentielle aux deux Chambres. Il démontre comment le chef de l’Etat, alors qu’il était gouverneur du département d’Antioquia, a semé les graines de ces monstres sanguinaires en créant les prétendues «coopératives de sécurité». Soixante congressistes, des maires et des dirigeants de région sont traduits en justice. Il est l’un des porte-voix qui dénonce les «faux positifs», ces assassinats de jeunes gens – pauvres, il va sans dire –, exécutés par les forces militaires, déguisées en guérilleros tombés au combat, pour faire du chiffre afin de justifier la politique dite de sécurité démocratique d’Alvaro Uribe. En somme, une sale guerre qui ne dit pas son nom.

Au sein du Congrès, Gustavo Petro se fait accusateur contre le DAS, le service de renseignements, qui espionne les opposants, les magistrats, les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme qui osent défier le maître du palais présidentiel de Nariño. Il est alors reconnu comme le meilleur congressiste. Son éthique courageuse et son ambition dévorante lui valent les pires attaques d’ennemis très puissants. Et des siens.

Il a patiemment tissé la toile de son ascension publique
Candidat à la présidentielle de 2010 pour le Pôle démocratique alternatif (PDA), il échoue face à l’actuel président, Juan Manuel Santos, dont le seul prestige aura été d’avoir signé des accords de paix en 2016 avec l’historique guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc). Il flingue sur la place publique les dirigeants de sa formation qui se vautrent dans la corruption, à commencer par le maire de Bogota. Il devient lui-même maire de la ville en 2012, faisant de la capitale, non sans mal et après avoir essuyé une destitution, une vitrine d’intégration sociale. Pour la première fois, aucun enfant n’est mort de faim durant son mandat.

A la différence du colonel Aureliano, Gustavo Petro n’a aucun don de prédiction. Ces vingt dernières années, il a patiemment tissé la toile de son ascension publique au point de prétendre aux plus hautes fonctions de l’Etat. Mais, à l’image du célèbre personnage de Garcia Marquez, il est déjà sur le pied de guerre pour le second tour de la présidentielle du 17 juin, où il affrontera Ivan Duque, le dauphin d’Alvaro Uribe, qui a obtenu 39,11 % des voix. Face à cet uribiste des temps modernes, la bataille est bien réelle et elle n’a rien de magique.