«On ne peut pas demander à la police de tout résoudre»

Vaud • La polémique autour du deal dans les rues lausannoises refait surface ces derniers jours. Nous avons demandé à Marc Vuilleumier, popiste et ancien municipal en charge de la police de 2006 à 2011, quel regard il portait sur cette situation.

Voir également la position du municipal en charge des écoles David Payot: Le deal de rue, une menace pour les élèves de Lausanne?

La prise de position publique du cinéaste Fernand Melgar contre le deal dans les rues lausannoises, en particulier à proximité des écoles, a fait grand bruit ces derniers jours et provoque un torrent de partages et de commentaires sur les réseaux sociaux. Dernièrement, la thématique a été plusieurs fois abordée au conseil communal et fait régulièrement les titres des journaux. Un rassemblement «contre les dealers» a même été organisé ce mercredi par la conseillère municipale PDC Sandra Pernet. Marc Vuilleumier nous livre son regard sur la situation.

La problématique du deal de rue à Lausanne n’est pas nouvelle. A votre avis, la situation a-t-elle évolué depuis que vous vous occupiez de la police?
Marc Vuilleumier Suite à différentes actions policières, il y a eu des déplacements du trafic. Il se déplace puis revient. Maintenant tout le quartier Saint-roch/Maupas, notamment, est occupé par des dealers. Il faut réaliser que si il y a des vendeurs il y a des consommateurs. Mais c’est évidemment plus facile de stigmatiser les vendeurs, qui sont souvent d’origine africaine, que de stigmatiser les consommateurs, qui pour la plupart sont des gens d’ici et souvent bien intégrés.

Une partie de la population appelle à plus de répression policière des vendeurs. Vous avez vous même mené des actions de ce type lors de votre mandat. Cela vous a-t-il semblé utile?
La police a un rôle à jouer car son rôle est de faire respecter la loi et notamment, dans la mesure du possible, de rendre les choses plus compliquées pour les dealers, mais elle ne peut être la seule réponse à ce problème. Les questions de la consommation ou de la migration par exemple dépassent largement l’action de la seule police.

Du coup que faudrait-il faire?
Le cinéaste Fernand Melgar, qui a créé la polémique en dénonçant le deal de rue dans le quartier du Maupas, demande finalement quelque chose de relativement simple: qu’on ne trouve pas de dealers postés devant les écoles depuis 7 heures le matin. Il est probablement possible d’avoir à l’entrée et à la sortie des écoles des policiers pour éviter un contact trop proche entre jeunes adolescents et dealers. Mais bien sur, cela ne résoudra pas le problème de la migration, des gens qui n’ont pas le droit de travailler et cherchent donc un moyen de subsistance à travers le deal, ou la question de savoir s’ils feraient autre chose s’ils avaient le droit de travailler. Cela ne règlera pas non plus la question des réseaux qui, derrière, fournissent la marchandise.

La gauche est parfois accusée d’angélisme en étant trop compréhensive à l’égard des dealers. Que devrait-elle défendre par rapport à ce type de situation d’après vous?
On peut tout expliquer, pourquoi les gens sont alcooliques, pourquoi ils vendent de la drogue, etc… mais cela ne signifie pas qu’il faut rester les bras ballants. Une partie de l’extrême gauche pose les problèmes de façon très générale, par exemple en termes de pauvreté dans les pays d’émigration. C’est une vraie question, mais cela ne résoud pas le problème des habitants de Lausanne, dont je peux comprendre la réaction.

Concrètement, que faire alors?
Au niveau local, il est possible d’agir par la prévention, afin d’éviter que les gens commencent à consommer. Cela se fait notamment au niveau des écoles. Des actions d’éloignement peuvent aussi être réalisées par la police, mais, encore une fois, on ne peut pas demander à cette dernière de tout résoudre. Ce travail est d’ailleurs souvent très frustrant pour les policiers, notamment parce que les sanctions pour les personnes qui ont une boulette ou deux sur eux sont dérisoires et qu’ils retrouvent souvent deux jours plus tard une personne arrêtée deux jours plus tôt. J’ai souvent entendu de la part des policiers que ce n’était pas motivant pour eux.

Faudrait-il augmenter ces sanctions?
La question pourrait être posée, mais elle doit être décidée au niveau suisse, dans le code pénal.

Certains proposent de dépénaliser ou réguler le marché des drogues…
Je suis favorable à la dépénalisation du canabis et de la marijuana. Mais pas à celles des drogues comme les métamphétamines, la cocaïne ou l’héroïne.

D’autres parlent de réserver le deal à des quartiers spécifiques…
Théoriquement pourquoi pas, mais pratiquement, je suis curieux de voir quel quartier sera désigné. Ce ne sera en tout cas pas Chailly ou Pully (quartiers plutôt aisés de Lausanne, ndlr), donc cela risque de retomber une nouvelle fois sur un quartier populaire.

Il n’y a pas de solution miracle….
S’il y en avait une, ça se saurait. D’une façon générale, c’est un dossier délicat. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il est régulièrement confié à un parti qui compte un seul magistrat à la municipalité, que ce soit le POP à l’époque ou le PLR aujourd’hui, avec M. Hildbrand. A ce titre, il est piquant de constater que ce dernier, qui fustigait ma position lorsque j’étais municipal, donne aujourd’hui à peu près les mêmes réponses à la presse que celles que je donnais moi-même!

D’après vous, le canton a-t-il un rôle à jouer ou est-ce une affaire de la ville?

C’est une affaire nationale voire meme mondiale. La drogue représente un marché gigantesque qui vient juste après les armes sauf erreur. La question de l’éradication des filières est donc un problème mondial.