Egalité: la Suisse est à la traîne

14 juin • Trente-sept ans après l’inscription du principe d’égalité dans la Constitution, le 14 juin 1981, le parlement suisse continue à se distinguer par son refus de se donner les moyens de l’appliquer. La Suisse reste aussi le seul pays d’Europe à ne pas accorder de congé paternité.

Le mouvement féministe demande depuis de nombreuses années des mesures contraignantes pour garantir le principe d’égalité, notamment salariale. Sans succès. (cc USS)

Décidément, les sessions parlementaires se suivent et se ressemblent… On se rappelle qu’en février, le Conseil des Etats avait repoussé la question de l’égalité salariale entre femmes et hommes, au lieu d’empoigner le problème. La réaction des citoyens (surtout des citoyennes) a été si vive qu’il s’est senti obligé de s’y coller, la semaine dernière.

Mais la montagne a accouché d’une souris. Pensez donc: la mesure de transparence des salaires ne concernerait que les entreprises de plus de 100 employé-e-s, soit 1% (le texte initial voulait toucher les entreprises de plus de 50 employé-e-s, ce qui n’était déjà pas beaucoup,et aurait concerné 2% de la totalité). La version 50 toucherait 54% des travailleurs, travailleuses, la version 100 plus que 45%. Mais les députés, essentiellement de droite, trouvent que c’est encore trop! «On se résout à guérir un cancer avec de l’aspirine!» soupire le PLR Raphaël Comte, chantre de droite de l’égalité salariale. Géraldine Savary, PS, renchérit: «Ce n’est même pas un chemin, c’est un bisse étroit que nous sommes en train de parcourir.»

Simonetta Sommaruga, qui défend ce dossier, a déjà dû avaler bien des couleuvres: les nombreuses modifications apportées à son projet initial. Elle affirme: «Les femmes de ce pays méritent une loi qui soit efficace»… une loi qu’elles attendent depuis 1981!

Peur de la «paperasserie soviétique»
Les réacs semblent avoir une peur panique de la «paperasserie soviétique» que provoqueraient, selon eux, les mesures de transparence. Il ne s’agit pourtant que d’afficher les salaires et d’accepter un contrôle extérieur. Rien de bien méchant. Mais, on le sait depuis longtemps, la cause des femmes n’a jamais été une priorité pour les partis de droite, qui ne sont même pas fichus de leur faire une place décente sur leurs listes électorales. «Il faudrait s’attaquer au fond du problème, qui réside dans l’organisation de la société», dit le PLR Olivier Français. Certes, mais cela n’empêche pas de commencer par la transparence des salaires.

Parlons-en, de l’organisation de la société. Quand on essaie de l’adapter aux conditions de vie actuelles, en demandant davantage de crèches, ou un congé paternité, les mêmes réacs de droite mettent les pieds au mur ou proposent des solutions au rabais. Toujours au nom du fric. Le comble, c’est que les APG (Assurance perte de gain, utilisée notamment pour le service militaire et le congé maternité, obtenu de haute lutte en 2005, 60 ans après son principe inscrit dans la Constitution) ont récemment été diminuées. Il est consternant de constater qu’il n’y a jamais d’argent pour les femmes, taillables et corvéables à merci. Le congé paternité représenterait 0,11% de cotisations APG, soit 420 millions de francs par an. Une paille par rapport aux 9 milliards de francs que Guy Parmelin demande au Conseil fédéral pour 30 à 40 nouveaux avions de combat. Sinistre mentalité qui préfère acheter des avions de combat plutôt que de porter de l’attention aux enfants et à leurs parents, pour le bien de tous.

En 2016, le Conseil national avait enterré l’initiative parlementaire de Martin Candinas (PDC/GR), qui ne demandait pourtant que deux semaines de congé (97 voix contre, 90 pour et 5 abstentions), après plus d’une douzaine d’interventions sur le sujet. Un vrai rocher de Sisyphe!

La société civile veille
Heureusement que la société civile veille. L’initiative pour un congé paternité de 4 semaines a recueilli plus de 107’000 signatures valables, elle a été lancée par des syndicats et des associations, dont Travail.Suisse, Pro Familia Suisse, Alliance F et la faîtière d’hommes et de pères «männer.ch», en réaction à l’inaction du Parlement. Le PS lui a apporté cette semaine son soutien.

Le PLR en revanche trouve encore une fois que l’initiative «va trop loin». Il a lancé cette semaine l’idée d’un contre-projet, mais au rabais: A la place des 14 semaines de congé maternité actuelles, 16 semaines de congé parental, huit étant attribuées d’office à la mère, les conjoints se répartissant les huit autres d’un commun accord. En cas de désaccord, 14 semaines iraient à la mère, deux au père. Le PS a d’ores et déjà averti qu’il ne soutiendrait «en aucun cas un contre-projet risquant d’aggraver de quelque façon le congé maternité existant». C’est bien le danger que l’on voit poindre à l’horizon!

Actuellement, seules les grandes entreprises peuvent offrir un congé paternité rémunéré à leurs salariés, déplorent les initiant-e-s. Dans les petites entreprises, la plupart des pères doivent se contenter d’un seul jour, sacrifier des jours de vacances ou prendre un congé non payé. Le modèle proposé vise des conditions équitables pour toutes les entreprises. Il donne la possibilité aux salariés masculins de négocier avec leurs supérieurs hiérarchiques une solution qui convienne aux deux parties. Par exemple, un père peut rester chez lui deux semaines dès le jour de l’accouchement et prendre les jours restants durant la première année de l’enfant.

Le congé paternité permettrait de casser le schéma des rôles traditionnels pour arriver à une vraie égalité hommes/femmes.

Rappelons que la Suisse est le seul pays d’Europe à ne pas accorder de congé paternité. Une honte pour un des pays les plus riches du monde! Sans surprise, les Nordiques sont les plus généreux. En Norvège, le congé parental est d’une année (46 semaines indemnisées à 100% ou 56 à 80%). En Suède, 12 mois à partager entre les deux parents, 2 mois minimum pour chacun. La durée varie selon les pays: 15 jours en Espagne, 64 en Slovénie. Mais aussi 3 ans en Autriche, un an au Luxembourg (6 mois par parent), 18 semaines à Chypre. Le congé parental en France est passé de 6 mois à un an pour un premier enfant, à condition que les deux parents le prennent.

10 jours obligatoires au Portugal
Des pays ont mis au point des mesures incitatives: depuis 2007, l’Allemagne rallonge le congé de 2 mois rémunérés si le père prend au moins 2 mois de congé parental. Même dispositif en Italie: passage de 10 à 11 mois si le père prend au moins 3 mois. En Autriche, le congé d’une durée de 24 mois n’est rémunéré que 18 mois si seule la mère le prend. Une prime est accordée aux couples suédois si le congé est partagé à parts égales. Le pays le plus avant-gardiste sur ces questions reste le Portugal: sur les 20 jours qui sont réservés au père, dix sont purement et simplement obligatoires.

Malheureusement, toutes ces mesures ne produisent pas des «résultats spectaculaires», explique en 2017 l’Observatoire français des conjonctures économiques(OFCE), parce que les femmes prennent toujours la plus grande part du congé. Les stéréotypes ont la vie dure! L’OFCE conseille de rendre obligatoire le congé paternité.

En Suisse, on ratiocine sans fin. Faudra-t-il attendre 60 ans, comme pour le congé maternité? Et combien de temps encore pour obtenir l’égalité salariale entre les femmes et les hommes?

Dégoûtées par l’inertie des politiques, les femmes préparent une grève nationale en 2019 (voir ci-contre). La première eut lieu en 1991, les deux derniers chiffres sont inversés, comme pour le roman d’Orwell «1984», écrit en 1948…