Les femmes passent à l’offensive

Suisse • Réunies dans le cadre d’assises féministes, 150 femmes des quatre coins du pays ont décidé, dans une ambiance enthousiaste, d’ouvrir une année féministe avec l’objectif d’aboutir à une grève des femmes le 14 juin 2019.

«Il faut reprendre la rue, car dans les espaces politiques, nos revendications ne passent pas», s’est indignée la syndicaliste du SSP Michela Bovolenta. (cc Gustave Deghilage)

«Nous l’avons déjà fait en 1991 et cela avait secoué le pays. Nous avions alors obtenu la loi sur l’égalité ou le droit à l’avortement. Cela montre que c’est possible et que tous les droits que nous avons ont été acquis par la lutte et la mobilisation!» Samedi dernier, l’ambiance était animée au centre socioculturel Pôle sud de Lausanne. 150 femmes venues de Genève, Vaud, Neuchâtel, de Suisse alémanique ou du Tessin s’y étaient réunies à l’occasion d’assises féministes romandes. Au programme, décider de l’organisation d’une grève des femmes en 2019, 28 ans après celle de 1991 et dans un contexte de renouveau des mouvements féministes un peu partout, à l’image du mouvement Me Too ou de la grève de 5 millions de femmes espagnoles le 8 mars dernier, qui avait pris les autorités politiques du pays de court.

«Je ne vais pas vous faire une longue conférence sur ce que c’est que l’inégalité, car on le voit très bien. Peut-on encore attendre, compter sur les autorités politiques? Non. Les dernières décisions du parlement en matière de contrôle des salaires sont navrantes. De plus, le Conseil fédéral vient de renoncer à son programme d’encouragement aux structures d’accueil extra-familial, et il a rejeté l’idée d’un congé paternité! Au niveau des tribunaux, les plaintes pour inégalité salariale ou harcèlement sexuel n’aboutissent majoritairement pas. Il faut reprendre la rue, car dans les espaces politiques, cela ne marche pas», s’indigne la syndicaliste du SSP Michela Bovolenta, l’une des initiatrices de la rencontre.

«Maintenant, ça suffit»
Quelques jours plus tôt, le conseil des Etats mettait enfin sous toit quelques modifications légales, censées réaliser l’égalité salariale, inscrite dans la Constitution depuis 1981 (voir notre article). Des mesures ultralégères cependant, qui ont fait l’objet de longues tergiversations et dont le passage au Conseil national est loin d’être assuré. «Je confirme la difficulté à faire passer les revendications des femmes à Berne et au sein du monde politique. Il est temps que les choses bougent. Maintenant ça suffit!», assène la sénatrice socialiste Géraldine Savary, venue participer à la rencontre. Elle aussi évoque la fameuse grève de 1991: «400’000 femmes s’étaient bougées, on s’en souvient tellement c’était important!».

Dans la salle, de nombreuses syndicalistes, militantes politiques et associatives, notamment du mouvement LGBTIQ, juristes, universitaires, étudiantes, journalistes, artistes ou simples femmes intéressées, de tous les âges, se relayent au micro. «Nous sommes gouvernés par des hommes vieux et riches qui n’ont visiblement pas les mêmes préoccupations que nous», lance l’une d’elles. «Il faut aller vers une vraie grève du travail rémunéré et non rémunéré, pour faire bouger les choses dans ce pays incroyablement réactionnaire. Commencer à construire un mouvement avec les femmes que l’on connaît dans les villes, villages», s’enthousiasme une autre. «Ce ne sera pas une grève seulement des femmes qui ont un contrat de travail, mais une grève de toutes les femmes. Je vais arrêter de changer les habits de mes enfants, de leur donner à manger, et je ne vais pas coucher avec mon mec», proclame une troisième. «Moi aussi, je suis pour une guerre…. euh… une grève…», commence une quatrième. Et le lapsus de susciter une large et joyeuse acclamation. Une jeune femme kurde évoque quant à elle la lutte des femmes au Rojava, qui montre «qu’on peut le faire»!

Ne pas «rater le coche»
Le lancement d’une «année féministe» avec l’objectif d’aboutir à une grève le 14 juin 2019 – le principe de l’égalité a été inscrit dans la Constitution le 14 juin 1981 – est rapidement adopté par toutes. Dans l’après-midi, une lettre est rédigée à l’attention d’organisations féministes suisse alémaniques qui ont déjà manifesté leur intérêt. Il est prévu de créer des coordinations locales et le soutien des organisations syndicales sera recherché. Plusieurs axes de travail pour définir et discuter des revendications sont définis et de nouveaux rendez-vous sont d’ores et déjà pris.

«Nous appelons dès aujourd’hui, toutes les femmes* intéressées à rejoindre le mouvement», résume un communiqué diffusé après les assises. Premier objectif, une grande manifestation le 22 septembre à Berne. Une Française venue assister à l’événement conclut. «On sent toutes et tous un renouveau du féminisme, il ne faut pas qu’on rate le coche, il faut qu’on y aille!»