Brésil, la démocratie est en danger

Brésil • A deux semaines du vote, les élections au Brésil sont des plus incertaines, surtout après l’invalidation de la candidature de l’ex-président Lula et l’attaque à l’arme blanche dont a récemment été victime son principal opposant, Jair Bolsonaro, ex-militaire et pasteur évangélique d’extrême droite.

En un peu plus de 2 ans, le président actuel Michel Temer a démonté tous les projets sociaux mis en place par les présidents Lula et Rousseff (E-Changer)

Profitant de la venue en Suisse de Djalma Costa, défenseur des droits humains, formateur et militant du mouvement populaire brésilien, nous l’avons interrogé sur cet important scrutin. Il est conseiller en politiques publiques relatives aux enfants et aux adolescents dans le cadre de sa fondation du Centre de défense des adolescents (Cedeca) d’Interlagos, à Sao Paulo. Il coordonne également depuis 20 ans le programme E-CHANGER (E-CH) au Brésil, qui comprend actuellement six coopérant(e)s nationaux et suisses. C’est à ce titre qu’il est en Suisse pour 3 semaines, accompagné par Sylvie Petter, coopératrice suisse de E-Changer, engagée dans un programme de santé primaire auprès des peuples indigènes d’Amazonie.

Quelle est la situation du Brésil à quelques semaines des élections ?

Djalma Costa: Le pays est très polarisé et l’on peut dire que la démocratie est en péril. Cela a commencé par la destitution en 2016 par le parlement de la présidente élue Dilma Rousseff – pour un motif totalement futile et non pour corruption, doit-on le rappeler — et son remplacement par le président actuel Michel Temer, dont la corruption est publique. En un peu plus de 2 ans, il a démonté tous les projets sociaux mis en place par les présidents Lula et Rousseff, dont la communauté internationale avait reconnu qu’ils avaient sorti de la pauvreté extrême 30 millions de personnes. Mais il a aussi gelé des programmes d’amélioration des infrastructures et diminué les budgets pour l’éducation et la santé.

Il représente une oligarchie très petite mais puissante, en partie dans l’agrobusiness et dans l’industrie d’extraction minière. C’est cette frange de la société qui ne veut pas d’un retour à la présidence de Lula et qui l’a fait condamner sur des soupçons – et pas des preuves – de corruption pour une propriété qui n’est même pas à son nom. Et pourtant, le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU -dont fait partie le Brésil – s’est prononcé en faveur de son éligibilité

La violence est de nouveau très forte. Les mouvements sociaux comme le Mouvement sans Terre (MST) sont criminalisés et le Parti des travailleurs (PT) est diabolisé dans les principaux médias du pays. Les militaires sont omniprésents dans le débat politique et sur ordre de Temer, l’Etat de Rio a été militarisé au nom de la sécurité. C’est grave et préoccupant.

Maintenant que l’on sait que Lula n’est plus candidat et que c’est Fernando Haddad qui est le candidat du PT, comment voyez-vous les issues possibles de ces élections?

Je voudrais d’abord dire que ces élections sont générales et pas uniquement présidentielles. Les deux chambres du Congrès (parlement fédéral), mais aussi les gouverneurs des 26 états et du district fédéral que compte le pays, seront renouvelés. Il est malheureusement peu probable qu’une majorité de gauche sorte gagnante au parlement ou dans les Etats (sauf au Nord-Est). Pour nous, mouvements sociaux, la campagne électorale n’a commencé que le 11 septembre, puisque jusque-là, le débat était plutôt sur la validité ou non de la candidature de Lula et donc dans les mains de la justice. Mais la motivation est grande et je suis sûr que la mobilisation autour de Fernando Haddad va se faire, car il a eu un très bon bilan comme gouverneur de Rio. Même si toutes les voix de Lula ne se reportent pas sur lui, je suis certain qu’il sera présent au second tour. Mais il faut savoir qu’il y a d’autres bons candidats à gauche comme Guilherme Boulos du Parti socialisme et liberté (PSOL), proche des mouvements sociaux et sur qui un certain pourcentage de voix de Lula pourrait se porter. Et il y a aussi la candidature de Marina Silva,. qui fut ministre de l’écologie de Lula. Elle reste très populaire malgré sa droitisation et son appartenance à l’église pentecôtiste et elle pourrait obtenir aussi une partie des voix de Lula. Evidemment on peut espérer que Haddad gagne la présidentielle, mais sa marge de manœuvre risque d’être très petite face à une droite décomplexée et une presse qui a déjà commencé à lancer des accusations de corruption contre lui la semaine passée.

Pour les mouvements sociaux, comment voyez-vous l’avenir?

Pour nous, la lutte va de toute façon continuer, même si on peut espérer avoir de meilleurs relais avec le gouvernement en cas d’élection de Haddad. Mais ce n’est pas demain que le travail d’un mouvement comme le MST va s’arrêter dans un pays où 2,8 % de propriétaires terriens possèdent plus de 56% des terres agricoles, ou dit autrement, 1% des exploitations agricoles occupe 45% de la superficie totale. Par ailleurs, 50% de petits propriétaires ne disposant que de 2,5% de la superficie emploient environ les deux tiers de la population rurale.

Dans ce contexte, la coopération internationale en général – et celle d’E-CHANGER en particulier – joue un rôle essentiel de soutien aux organisations partenaires, afin qu’elles puissent se développer de manière indépendante et mieux se positionner vis-à-vis de l’Etat. Par exemple, elle soutient le MST – en dénonçant les meurtres et agressions subis par ses membres récemment. L’association a aussi soutenu le MST dans le passé pour qu’il puisse aller de l’avant dans la certification de son riz biologique afin d’accroître ses ventes. Nous collaborons aussi avec l’organisation Secoya qui travaille avec les communautés Yanomami de l’Amazonie, pour renforcer leurs plans d’autonomie en matière d’éducation et de santé. Nous appuyons également la Marche mondiale des femmes dans le secteur de l’information et de la formation, en renforçant la mobilisation des femmes brésiliennes pour leurs droits légitimes. C’est pour moi dans ces mouvements que résident les forces vives porteuses d’espoir et qui permettront d’avoir un Brésil vraiment démocratique.