Libérez nos salaires!

La Chronique Renart • Ce qu’il y a de plus libre, en Helvétie, c’est l’entreprise. Mieux qu’un dieu, c’est un dogme!

Ce qu’il y a de plus libre, en Helvétie, c’est l’entreprise. Mieux qu’un dieu, c’est un dogme! Du moment que votre projet revient à profiter du travail des autres, tout vous sera permis.

Longtemps, comme le gallinacée qu’il était, votre goupil croyait à l’existence d’un minimum de règles. Eh bien, dans les faits, non. Prenons les «faillites frauduleuses». Selon vous, interdit ou pas?

Avant toute chose, expliquons de quoi qu’on cause. Vous avez une boîte. Par exemple une boîte de la poutze (eh oui, le dernier exemple en date est dans la poutze). Le patron commence à en avoir marre de payer des salaires, mais il aimerait bien continuer d’être patron (on ne se refait pas). Comment doit-il s’y prendre? Eh bien d’abord il crée une deuxième boîte de poutze. Ensuite il arrête de payer les employés de la première. Quand, après six mois ou plus, l’affaire finit au tribunal, que fait ce patron aguerri? Il met la première boîte en faillite et continue avec la deuxième. Conclusion: aucun salaire à payer et le business can go on. Pas mal, non?

Ayant vent du fait, votre goupil hurle aussitôt à la «faillite frauduleuse», pensant ainsi coincer le patron indélicat. Eh bien que pouic! La faillite en chaîne, en Suisse on appelle ça de la libre entreprise. Il n’y a fraude que (et seulement que) si la nouvelle boîte récupère du matériel de l’ancienne (véhicule, mobilier, etc.). Et encore! Comme de toute façon personne ne contrôle la chose, il n’y a à vrai dire aucune faillite frauduleuse «cheu nous» (quand on vous dit qu’on est les meilleurs!).

Comprenez: il existe bien un Office des faillites (si, si), mais son unique «vertu», c’est de voir si le patron a été suffisamment peu au fait des maniclettes pour laisser traîner quelques punaises qui puissent encore se vendre et rembourser une demi-heure des salaires impayés.

Bref: la liberté de l’entreprise, c’est avant tout celle de disparaître quand ça l’arrange.

Frauduleusement vôtre,

Renart

 

* Chronique tenue tous les 15 jours par Yves Mugny, auteur de La Faute au loup (éd. Cousu Mouche), www.yvesmugny.ch www.facebook.com/Yves.Mugny

Illustration: maou.ch