«Génocide» en Amazonie: pétition originale

Solidarité • L’Amazonie se meurt, attaquée de plein fouet par le président Bolsonaro. As du vélo artistique d’origine brésilienne, Jessica Arpin interpelle le Conseil fédéral et la classe politique face à l’urgence climatique, humanitaire et sociale.

Jessica Arpin et son vélo: un humanisme écologique au service des cultures opprimées de l’Amazonie chez une exploratrice et circassienne hors normes. (DR)

Sur le site change.org, Jessica Arpin, née à Salvador (Bahia) précise: «Ma pétition est une lettre adressée au Conseil fédéral suisse, afin que notre pays initie un véritable changement d’attitude politique et économique pour nos générations futures». Ainsi débute sa lettre-pétition intitulée «Action immédiate pour sauver le poumon de notre planète et ses derniers peuples.»

Forte de 14’500 signatures, elle fait un carton sur les réseaux sociaux et le net. Avant son dépôt à Berne, le 3 décembre prochain. Avec un spectacle de rue en présence de la star du Nordeste brésilien, Chico César, auteur compositeur chanteur, mais aussi journaliste, et, depuis 2010, Secrétaire à la Culture de son Etat d’origine, le Paraiba. Sans oublier plusieurs parlementaires, dont la Conseillère aux Etats Lisa Mazzone.

Les 900’000 membres des communautés autochtones vivant au Brésil envisagent l’Amazonie comme leur territoire. Sensible aux destins des populations autochtones indigènes de la forêt tropicale, J. Arpin souligne encore: «C’est la seule manière que j’ai trouvée pour ne pas rester passive et donc co-active dans ce génocide. Peut-être que mon action loufoque et poétique touchera de nouvelles cordes sensibles des personnes qui nous gouvernent. Peut-être qu’ils comprendront enfin que l’économie n’est pas la seule priorité.»

Urgence et solution

Face à une déforestation ayant augmenté de 93 % en une année, les incendies provoqués, les pressions sur les populations indigènes autochtones notamment, l’appel prend une tournure d’urgence, engageant le devenir de nos humanités et générations. «Je vous écris pour vous demander d’agir en faveur de la survie de l’Amazonie, de son biotope et des derniers indigènes qui y vivent.

Le nouveau président du Brésil, Jair Bolsonaro, investi le 1er janvier dernier, a pour priorité d’expulser les derniers autochtones de l’Amazonie et de vendre les forêts aux lobbies agraires.» Mère d’une petite fille de deux ans et demi, Vera, l’artiste âgée de 40 ans, lance une piste concrète aux autorités fédérales. «La Suisse pourrait par exemple proposer, avec la collaboration d’autres pays, de créer un territoire protégé, sacré et intouchable en Amazonie, dans lequel les indigènes, la faune et la flore pourraient exister sans être menacés».

Un projet qu’appuie Mathias Reynard, Conseiller national socialiste, président de l’Union syndicale valaisanne. L’homme a développé des liens étroits avec le Brésil – famille, séjours, camarades au PT ou au PSOL, Mouvement des sans-terres. Il relève que le virage progressiste et écologique du Parlement devrait favoriser une plus grande attention aux différents points développés par Jessica Arpin dans sa lettre-pétition. «Le premier rôle international de la Suisse est de sensibiliser aux questions humanitaires et environnementales. Il faut des clauses contraignantes posées en ce sens aux pays du Mercosur (communauté économique regroupant Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay et Venezuela)».

La position du DFAE

Avant le lancement de sa lettre pétition sur internet, Jessica Arpin a reçu une réponse du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) d’Ignazio Cassis. Pour ce qui est de l’ère Bolsanaro, le DFAE souligne que relativement à 2019, «la discussion entre Ueli Maurer et le Président Jair Bolsonaro lors du WEF a non seulement permis à la Suisse de se positionner comme partenaire de confiance, mais aussi de discuter de la protection de l’environnement.»

Aux yeux de Isolda Agazzi d’Alliance Sud, la coalition des principales ONG suisses de développement, on peut en  douter à plusieurs titres: «Le Conseil fédéral affirme avoir pris des dispositions exceptionnelles pour préserver l’environnement dans le chapitre sur le développement durable. Le problème est que le respect de ces dispositions repose entièrement sur le dialogue et la bonne volonté des parties et le gouvernement brésilien actuel n’a visiblement aucune intention de protéger la forêt. C’est l’avis de nos partenaires sur place. En cas de désaccord, il est très peu probable que la Suisse soit prête à monter au créneau contre le gouvernement brésilien pour défendre l’environnement, au détriment de ses intérêts économiques.»

Mêlant social, politique, artistique et droits humains, l’action de J. Arpin est précédée par une jeunesse mondiale qui réclame la fin des énergies fossiles et la réduction accélérée des émissions de gaz à effet de serre.

Le Conseiller national, Denis de la Reussille (PST-POP), lui, a déposé une interpellation au Conseil fédéral, le 9 septembre, «Catastrophe environnementale en Amazonie et accord avec les pays du Mercosur». Le député appuie la lettre-pétition de Jessica Arpin. Il souligne néanmoins que la situation et les droits humains de personnes vivant en Amazonie et travaillant notamment pour l’agro-business ou l’agriculture traditionnelle, souvent dans des conditions misérables, «doivent être pris en compte et pas seulement le cas des populations autochtones indigènes».

Pétition sur: https://urlz.fr/bbCH

 

Mercosur: l’accord de tous les dangers pour l’Amazonie

L’accord AELE (dont la Suisse) – Mercosur doit être encore ratifié et n’entrera pas en vigueur avant 2021. Face à cet accord, PST, PSS, Verts suisses, milieux agricoles et syndicats notamment sont vent debout. «Nous exigeons d’avoir des garanties en matière de standards sociaux, environnementaux et de respect des populations indigènes pour ce qui de la démarcation et de la protection de leurs terres ancestrales. Mais aussi au plan de la déforestation avec des mécanismes efficaces de sanctions et une traçabilité des produits. C’est dans ce cadre seulement que l’on peut imaginer accorder des facilités douanières», explique Lisa Mazzone.

Les griefs sont nombreux: renforcement de l’agrobusiness et des projets miniers; recours massif à des pesticides toxiques interdits en Europe; assassinats d’autochtones spoliés de leurs terres; menaces sur les agriculteurs suisses concurrencés. Campax, organisation de campagne et de mobilisation en Suisse, a récolté 67’300 signatures par le biais de pétitions en ligne contre l’accord.

«Il est non seulement écologiquement et éthiquement irresponsable de conclure un accord de libre-échange avec Bolsonaro, mais cela n’a aucun sens d’un point de vue économique: l’accord ne ferait qu’alimenter le changement climatique. Les coûts engendrés en Suisse par le réchauffement du climat sont incomparables aux bénéfices à court terme», souligne Campax que préside Lisa Mazzone.

Sur Twitter, le 25 août, Regula Rytz, présidente des Verts suisses et candidate au CF évoque la possibilité d’un référendum contre l’accord, appelant à des mesures plus strictes pour protéger la forêt tropicale et les peuples indigènes. Pour Lisa Mazzone, «les feux en Amazonie ont rendu visible la réalité de la politique économique basée sur le profit au détriment de l’environnement, des droits humains et des populations autochtones.» (Le Temps, 30.08.19).

Changement de paradigme

Pour Denis de la Reussille, cet accord est «résolument contre-productif au plan environnemental et social. Une large frange de politicien.n.e.s suisses ou à l’étranger n’a toujours pas pris conscience de l’urgence climatique et sociale ainsi que de ses implications concrètes. Ces apôtres économiques de l’ultralibéralisme doivent apporter une amélioration qualitative en termes de cultures éco-responsables. Et non poursuivre une fuite en avant quantitative d’une production sans frein en augmentant encore échanges et bénéfices au détriment du bien commun. Il faut envisager un changement de paradigme dans le mode de production, précisément à travers le Mercosur.»

Sur son interpellation parlementaire du 9 septembre, il détaille: «Les feux et destructions affectant le principal poumon terrestre ou plutôt stabilisateur du climat étaient alors concomitants à l’inertie du Conseil fédéral négociant des accords économiques de libre échange avec les pays du Mercosur. Ceci sans prendre en compte l’évolution catastrophique de la situation en Amazonie et ses conséquences délétères sur l’environnement. Néanmoins les résultats des dernières élections fédérales feront bien davantage que cet acte parlementaire».