Je vais vous parler d’amour…

La chronique féministe • Tout a commencé avec Aphrodite, née de l’écume produite par le sang d’Ouranos, à qui Cronos avait coupé les bourses, près de Chypre (l’île a donné un autre nom à la déesse: Cypris, d’où vient le mot «cyprine»).

Dans Les liaisons dangereuses, Valmont séduit cyniquement la très jeune Cécile de Volanges, 15 ans, juste sortie du couvent. (Charles Monnet)

En ce début 2020 à la jolie graphie (il n’y eut que 1010 avant nous, et en 3030, il n’y aura plus d’humanité), je vais vous parler d’amour, pour changer.

Disons que tout a commencé avec Aphrodite, née de l’écume produite par le sang d’Ouranos, à qui Cronos avait coupé les bourses, près de Chypre (l’île a donné un autre nom à la déesse: Cypris, d’où vient le mot «cyprine»). Accompagnée par son fils Cupidon, la déesse de l’amour a foutu un bordel pas possible parmi les dieux et les humains.

Il en reste un certain nombre de traces en littérature et dans les arts. Si le désir est généralement puissant, l’amour est rarement heureux.  Comme Lanclelot du lac, qui aime la reine Guenièvre, épouse du roi Arthur, Tristan et Iseut vivent une passion, usurpée au roi Marc, pendant trois ans, la durée du philtre d’amour. Ils se retrouvent dans la mort.

Comme Roméo et Juliette, ou Héloïse et Abélard, émasculés par le tuteur de sa jeune amante. Ils s’écrivent d’un couvent à l’autre pendant une vingtaine d’années, jusqu’à la mort d’Abélard. Quand elle trépasse, 20 ans plus tard, en 1164, elle se fait enterrer dans le tombeau de son mari. En 1917, la mairie de Paris fait transporter les restes de ce couple de légende au cimetière du Père-Lachaise, leur dernière demeure. Rousseau a imaginé La nouvelle Héloïse en référence à leur histoire. Il s’agit aussi de l’amour d’un précepteur et de son élève, Saint-Preux et Julie. L’amant est châtré par le père de Julie, pas physiquement mais psychologiquement, qui l’oblige à s’en aller. Les amants échangent alors de nombreuses lettres. Julie finit par épouser un ami de son père, à qui elle reste fidèle.

La fidélité est aussi la trame de La princesse de Clèves. Elle est mariée, tombe amoureuse du duc de Nemours, mais reste fidèle à son mari, jusqu’après le mort du prince. Elle termine ses jours dans un couvent.

Le couvent était le lieu expiratoire des jeunes filles de bonnes familles pauvres ou de celles qui avaient fauté. Comme pour Cécile de Volanges dans Les liaisons dangereuses. Même la Camille de On ne badine pas avec l’amour s’y retire, après avoir joué avec le feu, Perdican et Rosette.

Alceste, quand il comprend que Célimène ne l’aime pas, ne se retire pas dans un couvent mais dans le désert.  Le sacrifice est un thème récurrent dans les grandes histoires. Titus sacrifie Bérénice à cause de Rome; Cyrano de Bergerac se sacrifie à la mémoire de Christian, la Dame aux Camélias aux exhortations du père de son amant.

Et on meurt beaucoup de chagrin dans les romans d’amour: Iseut, Phèdre, le pasteur Arthur Dimmesdale dans La lettre écarlate, Rosette dans On ne badine pas avec l’amour, Henriette de Mortsauf pour Le lys dans la vallée de Balzac, Quasimodo dans Notre-Dame de Paris, Madame Bovary, Anna Karénine, des Grieux sur la tombe de Manon Lescaut, Werther, Mme de Tourvel des Liaisons dangereuses, Mme de Rênal dans Le rouge et le noir; Anne, dans Bonjour tristesse de Françoise Sagan … Comme s’il fallait payer le crime d’avoir aimé. Il n’y a guère que dans L’amant de lady Chatterley que l’amour connaisse un dénouement heureux.

Tristan et Iseut, Roméo et Juliette sont jeunes de part et d’autre. Mais dans beaucoup de romans, il y a une grande différence d’âge entre l’homme et la femme, voire la jeune fille, comme l’a bien démontré Molière dans L’école des femmes. Le vilain barbon Arnolphe a fait élever sa pupille Agnès dans l’ignorance, afin d’avoir autorité sur elle. Ce qui ne l’empêchera pas de tomber amoureuse d’Horace et de rattraper les années perdues. Abélard a 20 ans de plus qu’Héloïse; Saint-Preux est d’abord le précepteur de Julie; le riche amant chinois a 12 ans de plus que la jeune fille de 15 ans chez Marguerite Duras; la Lolita de Vladimir Nabokov a 12 ans quand Humbert, 37 ans, tombe amoureux d’elle…

Le pire est peut-être joué par Valmont, dans Les liaisons dangereuses, quand, pour aider la marquise de Merteuil à se venger, il séduit cyniquement la très jeune Cécile de Volanges, 15 ans, juste sortie du couvent pour épouser le comte de Gercourt, plus âgé qu’elle, bien entendu. Ronsard a 50 ans quand il tente de séduire la jeune Hélène…

Aujourd’hui, on sait les ravages que produisent chez les jeunes filles le harcèlement ou des relations imposées. Le consentement de Vanessa Springora raconte sa liaison avec l’écrivain Gabriel Matzneff, dans les années 1980, quand elle avait entre 13 et 15 ans. Ce pédophile notoire fut invité cinq fois par Bernard Pivot, qui, complaisamment, le faisait parler de son attirance pour les très jeunes filles. Seule la Canadienne Denise Bombardier s’en indigna sur le plateau, et fut traitée de «connasse», lors de l’apéro, par Philippe Sollers.

Le procès du producteur de cinéma Harvey Weinstein, accusé de multiples agressions sexuelles, qu’il nie, s’est ouvert lundi 6 janvier à Manhattan. Le mouvement #MeToo, après avoir fait chuter de nombreux hommes de pouvoir, espère des sanctions pénales.

L’amour serait-il aussi une question de pouvoir? Cela semble bien le cas pour Roméo et Juliette, soumis au pouvoir de deux familles puissantes; Alceste et Célimène, empêtrés dans les règles de leur monde; Bérénice, que Titus sacrifie au pouvoir de Rome; les règles rigides de la cour du temps de la princesse de Clèves; la morale pour Manon Lescaut et le chevalier des Grieux pour l’héroïne de La lettre écarlate; Mme de Rênal dans Le rouge et le noir; Orgueil et préjugé de Jane Austen; Jane Eyre de Charlotte Brontë; la Dame aux Camélias; Madame Bovary; Anna Karénine; Cyrano de Bergerac

Sans parler des sentiments humains, qui compliquent généralement la donne. «Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux ou lâches, méprisables et sensuels; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux.» fait dire Musset à Perdican dans On ne badine pas avec l’amour.

On prétend aussi qu’il n’y a pas d’amour heureux ou que le bonheur n’a pas d’histoire…